Naufrage en Grèce : l’Europe doit mettre fin à ses politiques mortifères et inhumaines
Dans une tribune publiée par le Monde, une quarantaine d’associations dénoncent le refus délibéré des Etats membres de l’Union européenne de remplir leurs obligations internationales en matière de recherche et de sauvetage en mer et en matière de droit d’asile suite au drame qui s’est produit au large de la Grèce le 14 juin dernier.
Une fois de plus, des centaines de personnes se sont noyées aux frontières de l’Europe en raison du refus délibéré de la part d’Etats membres de l’Union européenne de remplir leurs obligations internationales en matière de recherche et de sauvetage en mer et en matière de droit d’asile.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, des centaines de personnes, y compris de nombreux enfants, sont portées disparues et présumées mortes au large des côtes grecques. On ne sait combien exactement se trouvaient à bord du navire naufragé, mais les témoignages font état de passagers entassés sous le pont lui-même surchargé.
Ce bateau était de fait en détresse, ce qui ne devrait pas autoriser les gardes-côtes grecs à justifier leur inaction en arguant que les passagers auraient refusé les secours. En effet, un avion de Frontex a survolé le navire quelques heures avant le naufrage et l’a signalé aux autorités grecques et italiennes plusieurs heures avant qu’il ne chavire, ce qui aurait dû amener les autorités grecques à déclencher immédiatement une opération de sauvetage dans cette zone de recherche et de sauvetage placée sous leur responsabilité.
Depuis des années, les défenseurs des droits humains, les organisations de la société civile, les Nations unies et les médias internationaux ont documenté les violations des droits ayant lieu sur les routes migratoires, ainsi que la responsabilité des politiques migratoires de l’Union européenne, y compris les limitations croissantes aux opérations de secours en mer et les encouragements au refoulement vers des pays non européens, même lorsque ceux-ci sont unanimement considérés comme dangereux.
Alors que le premier trimestre 2023 a été le plus meurtrier en Méditerranée centrale depuis six ans, qu’avec plus de 20 000 morts en dix ans cette route migratoire est considérée comme la plus dangereuse au monde, l’Union européenne et ses Etats membres n’ont cessé de réduire leur capacité de recherche et de sauvetage (SAR) en mer, tout en violant régulièrement leurs obligations internationales en la matière et en entravant strictement les opérations menées par les navires des ONG, rendant impossible l’assistance rapide et efficace aux personnes migrantes en situation de détresse.
Les organisations de la société civile ont plaidé sans relâche auprès de la Commission européenne, des Etats membres et des décideurs politiques européens pour qu’ils adoptent des mesures visant à mettre fin aux violations des droits humains et aux morts insensées aux frontières de l’UE, qu’ils conditionnent leurs politiques au respect du droit ou les modifient lorsque ce droit est bafoué. Si les mécanismes de l’UE censés évaluer l’impact des politiques migratoires européennes en termes de droits humains fonctionnaient et étaient réellement indépendants et transparents, l’UE n’aurait pu continuer à mettre en œuvre, voire à intensifier, des mesures mettant directement en danger la vie des personnes migrantes.
Et pourtant, en dépit de ces alertes, l’UE et ses Etats membres continuent de conclure avec des pays non européens des accords impliquant des transferts de milliards d’euros, dans des conditions souvent opaques, dans le seul but « d’externaliser », c’est-à-dire de sous-traiter, leurs responsabilités en matière d’asile et de gestion des frontières.
Au début du mois de juin, les Etats membres de l’Union européenne sont aussi parvenus à un accord pour rendre le système européen d’asile et de migration encore plus restrictif, et renforcer des mécanismes censés décourager les arrivées, tels que la détention systématique aux frontières de l’UE.
Cette approche risque de générer encore davantage de décès en mer et de refoulements vers des pays dangereux. De nombreux travaux de recherches montrent que le durcissement des politiques migratoires et l’absence de voies sûres et légales pour les migrants et les demandeurs d’asile ne font qu’inciter les personnes fuyant la guerre, la violence et la pauvreté à emprunter des itinéraires toujours plus dangereux, au péril de leur vie.
Nous demandons
Une enquête complète et indépendante sur le naufrage survenu au large des côtes grecques le 14 juin, en particulier sur les rôles de l’UE, notamment de Frontex, et de ses Etats membres.
La mise en place d’un système d’asile européen qui garantisse aux personnes qui fuient des persécutions dans leur pays d’origine le droit fondamental à une protection dans des pays à même de la leur offrir.
La mise en œuvre d’opérations européennes de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée, sous la responsabilité des Etats et dans le respect du droit international.
Enfin, pour décourager les traversées dangereuses, l’ouverture de voies d’accès sûres et légales à l’Europe, aussi bien pour les demandeurs d’asile que pour des personnes en quête de meilleures conditions de vie.
Ces voies doivent notamment inclure, en priorité, l’évacuation de migrants et demandeurs d’asile particulièrement vulnérables, bloqués dans des pays, comme la Libye, où leur vie est en danger du fait de violations systématiques de leurs droits, et où l’accès à la protection et aux soins dont ils ont besoin est inexistant ou extrêmement limité.
Tribune parue dans le Monde le 27 juin 2023.
Liste des signataires tribune collective « Naufrage en Grèce : l’Europe doit mettre fin à ses politiques mortifères et inhumaines »
Action Contre la Faim : Dr Pierre Micheletti, Président d’Action Contre la Faim et membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme
Ados sans frontière Gard : Marie- Claude Tordo Cavagnara et Maguy Joncourt, Co-présidentes
Amnesty International France : Jean-Claude Samouiller, Président
Anafé : Alexandre Moreau, Président
Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF) : Nacer El Idrissi, Président
ATPAC La Maison Solidaire : Valentin Porte, Coordinateur
Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) : Patrick Berdugo, Emmanuelle Neraudau et Morade Zouine, Co-présidents
CCFD-Terre Solidaire : Manuèle Derolez, Déléguée générale
Collectif AMIE : Gwenaël Crenn, Présidente
Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry : Aboubacar Dembele et Elhadji Dioum
Collectif soutiens/migrants Croix-Rousse : Sébastien Gervais, membre du collectif Soutien/migrants Croix-Rousse
Comede : Didier Fassin, Président
Coordination nationale des jeunes exilé.es en danger : Isabelle Audureau, membre de la coordination nationale jeunes exilé.es en danger
Dom’Asile : Catherine Claverie, Présidente
Each One : Théo Scubla, Président
Emmaüs France : Antoine Sueur, Président
France Terre d’Asile : Najat Vallaud Belkacem, Présidente
FORIM : Mackendie Toupuissant, Président
Gisti : Christophe Daadouch et Vanina Rochiccioli, co-président.es
Humanity Diaspo : Rana Hamra – Directrice Exécutive
J’accueille : David Robert, Co-directeur
Kids Empowerment : Christophe-Claude Charles-Alfred
La Cimade : Fanélie Carrey-Conte, Secrétaire générale
Ligue des Droits de l’Homme : Patrick Baudouin, Président
Ligue de l’Enseignement : Martine Besson, secrétaire générale adjointe
LTF : Bruno Tesan, Directeur de l’association
Médecins du Monde : Joël Weiler, Directeur général
Médecins Sans Frontières : Claire Magone, Directrice générale
Mediterranea Saving Humans – Paris : Roberto Calarco au nom du groupe Mediterranea Saving Humans-Paris
Mireille Damiano Présidente NICE du Syndicat des Avocats de France – Prix des Droits de l’Homme du Conseil National des Barreaux
OXFAM France : Baptiste Filloux, Chef de pôle Campagnes et plaidoyer Inégalités mondiales, Humanitaire & Migration
Paris d’Exil : Oriane Sebillotte, co-présidente
RIACE France : Frédéric Meunier, Coordinateur du Fonds de dotation
Secours Catholique : Véronique Devise, Présidente nationale
Service Jésuite des Réfugiés : Véronique Albanel, Présidente
Singa Global : Rooh Savar, Président
SOS Méditerranée : François Thomas, Président
Syndicat des avocats de France : Claire Dujardin, Présidente, Syndicat des avocats de France
Thot : Félix Guyon, Délégué général
Union des étudiants exilés : Rudi Osman, Directeur
Union syndicale Solidaires : Cybèle David, Secrétaire nationale
UniR : Camila Ríos Armas, Directrice
Utopia56 : Yann Manzi, Cofondateur délégué général
Weavers : Flora Vidal Marron, Directrice générale
YAMBI : Clélia Compas, Présidente
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