Brève 2013 – Erreurs sans frontières – quand la police se mélange les passeports
Il arrive parfois que les décisions administratives soient dénuées de bon sens. Dans ce cas, les agents qui les appliquent peinent souvent à reconnaître leur erreur, au détriment du respect des personnes auxquelles elles s’appliquent. Sara et ses deux fils en ont malheureusement fait les frais et ont dû se heurter à une administration à courte vue dont les arbitrages se sont révélés irrationnels.
Alejandro, âgé de 17 ans, et Ricardo, âgé de 21 ans, vivent en Bolivie. Il y a 10 ans, alors que leur mère accomplissait son projet migratoire vers la France, ils ont été accueillis chez leur grand-mère puis, après son décès, chez leur tante, à Santa Cruz. Leur père, qui a refait sa vie, est quant à lui parti depuis longtemps vivre en Guyane Française.
Ne supportant plus l’éloignement et l’isolement, ils décident de rejoindre leur mère en France. Les deux frères s’organisent et réservent des billets d’avion peu chers avec escales. Ils partent alors de Santa Cruz (Bolivie), transitent par Assomption (Paraguay), Sao Paulo (Brésil) et Paris et ont pour destination finale Dublin (les boliviens étant exemptés de visa en Irlande). Depuis Dublin, ils se rendent à Roissy, où la police aux frontières (PAF) leur oppose un refus d’entrée pour absence de visa. Ils sont alors placés en zone d’attente en vue de les refouler vers Dublin.
Lors de son arrivée, Ricardo présente à l’administration le document attestant qu’il est le représentant légal de son frère mineur Alejandro. Cela ne contrariera en rien l’intention de la PAF de séparer les deux frères en violation des articles 3 et 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ainsi, Ricardo est refoulé alors que son jeune frère demeure en zone d’attente. Ce dernier sera admis sur le territoire français le lendemain par le juge des libertés et de la détention. La mère, angoissée du sort réservé à son fils aîné, se rend alors auprès de la PAF, qui ne fera que cultiver la désinformation. La PAF lui affirme d’abord que son fils a été renvoyé vers Dublin, puis Rio, avant de lui avouer qu’il a en réalité été refoulé vers Sao Paulo. Ricardo, joint par téléphone, nous dira que depuis Sao Paulo, il a été refoulé vers Assomption, puis vers Santa Cruz, où, à sa grande stupéfaction, les autorités le placent en garde à vue pour usurpation d’identité !
C’est que la PAF française, en plus de séparer les deux frères, a malencontreusement inversé leurs passeports ! Après cinq heures d’interrogatoire, Ricardo parvient à convaincre les autorités boliviennes de l’erreur de la PAF. Il est alors relâché et la police l’enjoint à présenter son véritable passeport au plus vite. C’était sans compter la promptitude légendaire de l’administration française à reconnaître et réparer ses erreurs…
Ainsi, lorsqu’elle tentera de récupérer les passeports intervertis, Sara se heurtera de nouveau à la mauvaise foi de la PAF. Les policiers lui indiquent que légalement, ils ne peuvent pas lui rendre le passeport de son fils Ricardo et qu’il lui faut se déplacer – sans passeport donc – jusqu’en France pour le récupérer… Bel exercice d’illogisme puisqu’en voyageant sans passeport Ricardo se serait forcément retrouvé en zone d’attente dès son arrivée.
S’en suivirent d’interminables tractations pendant plusieurs mois auprès de l’ambassade bolivienne en France et auprès de la PAF qui a finalement rédigé une lettre d’excuses. Il a ensuite fallu réitérer à plusieurs reprises une demande officielle de restitution de documents auprès du ministère de l’intérieur.
Les documents de voyage seront finalement rendus à leurs propriétaires respectifs. Juste à temps pour Alejandro qui a pu entamer les démarches pour s’inscrire au lycée en France, mais malheureusement trop tard pour Ricardo, qui est contraint d’attendre un an en Bolivie avant de pouvoir s’inscrire dans un cycle d’enseignement supérieur.
L’erreur matérielle, le déni et la mauvaise volonté de ceux qui les ont commis ont prolongé, au nom du contrôle migratoire, l’éclatement d’une famille dont l’unité semblait déjà fragilisée.
Corentin, Intervenant Anafé, 2013
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