Brève 2013 – Bricolage impatient devant le juge des libertés et de la détention
Le maintien en zone d’attente est empli d’urgences. Les délais extrêmement brefs des procédures, le traitement accéléré de la demande d’entrée en France au titre de l’asile, le temps dérisoire alloué aux avocats commis d’office pour s’entretenir avec les maintenus et le quotidien de tous les acteurs intervenant en zone d’attente sont déterminés par l’urgence. Les conséquences de cette instruction empressée peuvent être irréparables lorsque la mauvaise gestion de l’urgence nuit au plein exercice des droits des personnes enfermées à la frontière.
Le juge judiciaire des libertés et de la détention intervient après quatre jours pour contrôler les conditions de privation de liberté en ce que le maintien en zone d’attente constitue une limitation de la liberté d’aller et venir. Il vérifie, en tant que gardien des libertés individuelles, s’il n’y a pas eu d’atteinte aux droits fondamentaux et si la procédure a bien été respectée par l’administration. Saisi par la police aux frontières, il peut décider de libérer une personne ou de prolonger son maintien pour huit jours supplémentaires. Il va par exemple évaluer s’il y a eu des difficultés quant au respect des droits prévus dans la loi, notamment l’accès à un conseil ou à l’assistance d’un interprète. Des interprètes sont aussi présents lors des audiences devant le juge. Leur rôle est essentiel pour que les personnes puissent comprendre de manière exhaustive les ressorts et la portée des décisions prises par le juge les concernant. Leurs compétences sont, à ce titre, fondamentales et on ne s’improvise pas traducteur devant le tribunal.
« La patience mène souvent à bien, alors que la précipitation s’empêtre en chemin », c’est ce qu’aurait dû méditer la juge des libertés et de la détention ce jour-là, qui, après avoir vérifié si les personnes avaient bien exercées leurs droits en zone d’attente, a visiblement fait preuve d’impatience en bricolant la procédure d’une façon consternante. Ainsi, alors qu’elle s’apprêtait à rendre son délibéré et constatait l’absence temporaire de l’interprète en anglais, Madame la Présidente est purement et simplement allée à l’encontre du droit des personnes à bénéficier de l’assistance d’un interprète.
Passablement agacée par l’absence d’interprète en anglais, elle a ainsi demandé aux personnes présentes dans la salle d’audience si l’une d’entre elles était anglophone et pouvait faire office de traducteur improvisé. Après que les CRS lui aient répondu qu’ils parlaient français et que « c’était déjà pas mal » puis s’être confrontée au mutisme de l’assistance, elle a quitté la salle d’audience accompagnée de la greffière à la recherche du premier passant anglophone. Tous trois sont alors revenus le pas pressé dans la salle d’audience et la Présidente, en grande hâte, a demandé à l’interprète d’un jour de prêter le serment d’apporter son concours à la justice en son honneur et conscience. Ce dernier, en sa qualité d’interprète amateur du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a ensuite traduit maladroitement les décisions de la juge dans un anglais très approximatif.
Ce bricolage hâtif a eu pour conséquence une complète incompréhension des décisions de la part des étrangers, qui n’ont pu assimiler les raisons pour lesquelles leur maintien en zone d’attente avait été prolongé. Ainsi, alors que l’audience devant le juge judiciaire est l’une des seules garanties de contrôle des droits des étrangers maintenus, elle est trop souvent bâclée.
Une précipitation qui instaure des rapports inégaux entre justiciables et qui place, une fois de plus, les étrangers dans l’ignorance de leurs droits et dans l’incapacité de les exercer de façon effective. Cela est incontestablement dommageable à la mission du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles.
Corentin, Intervenant Anafé, 2013
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