Brève 2017 – Une famille dans les limbes de la zone d’attente

Publié le 22 Juil 2017

Modifié le 20 Nov 2024



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Ce mercredi, 8H15, l’Anafé se rend en ZAPI 3 (à Roissy) afin d’accompagner une famille demandeuse d’asile lors de son entretien avec l’OFPRA. En zones d’attente, lieux privatifs de liberté situés aux frontières françaises, la procédure d’asile déroge à la procédure de droit commun se déroulant sur le territoire [1].

Les intervenantes de l’Anafé les reçoivent dans le bureau de permanence. Monsieur a mis son plus beau « costard », Madame, enceinte d’un mois et demi, sourit un peu stressée. S., leur fille de 8 mois, vêtue d’une robe de princesse rose bonbon finit sa nuit sur les genoux de sa maman. Les permanencières leur expliquent le déroulement de l’entretien, le rôle d’observateur lors de ce dernier.

L’entretien du père se déroule sans encombre jusqu’au moment où il souhaite se servir de la multitude de documents qu’il a en sa possession afin d’appuyer son récit. L’officière de protection lui répond alors froidement qu’elle ne peut les prendre en compte car ceux-ci n’ont pas été traduits en français. Monsieur se sent surpris, meurtris aussi car il comptait beaucoup sur les preuves qu’il avait réussi à collecter pour démontrer la véracité de son récit. Première déconvenue de la journée.

Cet épisode pose question, en effet, quid de la prise en compte des éléments probatoires apportés à l’appui du récit de demande d’asile ? Si l’on raisonne par l’absurde, que ce serait-il passé si Monsieur avait apporté des éléments de preuves traduits en langue française ? L’OFPRA les aurait-il acceptés ?

Et, dès lors, l’examen des demandes d’asile à la frontière est-il réellement un examen prima facie [2], se concentre-t-il sur leur caractère « manifestement infondé [3] » ? Rien n’est moins sûr…

En fin d’après-midi, deuxième déconvenue, leur demande d’asile est rejetée. Leur moral est touché… mais pas encore coulé. Ils décident de faire un recours contre cette décision.

Le vendredi, en fin d’après-midi, Madame est prise de saignements. Elle se rend aux toilettes. En sortant, elle fait un malaise et chute lourdement. Monsieur l’emmène alors immédiatement voir le médecin de la zone d’attente qui décide de la transférer vers l’hôpital, soupçonnant une fausse couche. A l’hôpital, les médecins lui annoncent qu’elle va rester 3 jours. Elle passe alors une échographie, laquelle constate la fausse couche à un mois et demie de grossesse. Elle est alors reconduite en zone d’attente après une heure passée à l’hôpital. D’après les dires de Madame, 2 cachets de médicament lui sont prescris. Quid de la prise en compte de l’état psychologique de Madame ? Le corps médical savait-il ce qu’est une zone d’attente et ce que la condition de maintenu implique ?

A peine est-elle retournée en zone d’attente qu’elle fait à nouveau un malaise et continue de perdre du sang. Le médecin n’est plus présent en ZAPI, son mari informe de l’état de santé de sa femme la Croix-Rouge et celle-ci décide alors de prévenir la police aux frontières pour qu’elle appelle le SAMU.

Le policier auquel ils font face est énervé et leur signifie sèchement qu’il n’est pas là pour les « transporter ». Au lieu d’appeler le SAMU, le policier propose à Madame de patienter sur une chaise du poste de police, alors qu’elle continue à perdre du sang.

Troisième déconvenue celle de la violence des propos tenus par les officiers de la police aux frontières, responsables des personnes privées de liberté en zone d’attente : « vous pouvez repartir vers le trou de merde d’où vous venez ! », « pourquoi je parle avec toi alors que tu n’as même pas le droit d’être ici ! » [4]

Finalement, le service médical de l’aéroport est contacté et Madame est à nouveau emmenée, en urgence, à l’hôpital. Elle est, après quelques heures, reconduite une nouvelle fois en ZAPI.

Le lendemain, elle continue de saigner et reste allongée sur son lit en raison de vives douleurs dans le bas du dos. Elle retourne alors voir le médecin qui lui redonne deux médicaments avant d’ajouter que, si elle a mal au dos, c’est en raison de son surpoids. CQFD !

L’Anafé a assisté, 5 jours après, à l’audience de la famille devant le Tribunal administratif [5]. Madame très fatiguée, souffrait toujours de saignements et paraissait très atteinte psychologiquement. Quatrième déconvenue : le juge administratif leur refuse l’entrée sur le territoire au titre de l’asile.

La famille sera finalement réacheminée après 14 jours de maintien en zone d’attente. Les documents de la demande d’asile, confidentiels, ont été remis aux autorités de leur pays d’origine, ce qui est contraire au principe de la confidentialité de la demande d’asile. Cela leur a d’ailleurs valu d’être maintenus trois jours à l’aéroport par la police à leur arrivée.

Comme si la violence de l’enfermement ne suffisait pas, voilà que le système s’acharne et reste indifférent. Aucune compassion, aucune pitié, la seule réponse des autorités est de les malmener et de les mettre en danger.

Cette histoire illustre une nouvelle fois le processus de déshumanisation inhérent aux lieux privatifs de liberté, au sein desquels, le mot « humanité » perd si souvent son sens. Elle est aussi révélatrice des dysfonctionnements en termes d’accès aux soins et à la santé en zone d’attente, ce dernier n’étant pas un endroit décent pour une femme enceinte, ni pour un bébé de huit mois, les conditions de maintien y étant pour le moins rudimentaires.

Soizic, Intervenante Anafé, 2017

[1La procédure « d’admission sur le territoire au titre de l’asile » permet uniquement d’autoriser l’entrée sur le territoire afin de déposer une demande d’asile. Par ailleurs, la décision est prise par le Ministère de l’Intérieur, lequel se prononce, au vue d’un avis non-contraignant émis par l’OFPRA, sur le caractère « manifestement infondé » de la demande.

[2À première vue, sans rentrer dans l’examen au fond de la demande.

[3À première vue, sans rentrer dans l’examen au fond de la demande.

[4Propos recueillis par les intervenants de l’Anafé auprès de la famille.

[5Suite au rejet de leur demande d’asile par le ministère de l’intérieur.

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