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Brève 2018 - L’odeur de l’enfermement

Récit d’une première journée en zone d’attente

lundi 6 décembre 2021

« Madame X du Brésil est attendue immédiatement au poste de police avec ses papiers  », ce refrain anxiogène nous accueille dès l’arrivée dans les couloirs de la ZAPI. À cela s’ajoute l’omniprésence policière, les enfants qui font la course dans les couloirs, les conversations tendues aux cabines téléphoniques et les effluves d’eau de javel qui peinent à couvrir les odeurs de moisissure. L’odeur de l’enfermement ?! Difficile de passer outre quand on entre pour la première fois dans un lieu de privation de liberté.

La zone d’attente de Roissy est un labyrinthe de couloirs où déambulent les personnes à qui la police aux frontières (PAF) a refusé l’entrée sur le territoire français. Rapide état des lieux : les douches et les toilettes donnent directement sur le couloir où se trouvent aussi les cabines téléphoniques (seul moyen de communication avec l’extérieur pour les maintenu.e.s), ici pas plus d’intimité que de non-mixité. Par les fenêtres qu’on ne peut évidemment pas ouvrir, on voit décoller les avions derrière les barbelés et pour beaucoup ici, c’est le seul paysage de la France qu’iels auront l’occasion de voir en dehors des publicités « Paris vous aime » affichées aux sorties des avions et dans l’aéroport, juste avant que la police aux frontières n’écarte les « indésirables ».

Des vacances avortées pour une réservation d’hôtel annulée, un départ précipité d’un pays dangereux, des faux papiers achetés pour tenter de fuir la misère ou la guerre : des histoires aussi diverses que les personnes rencontrées en ZAPI par les intervenant.e.s de l’Anafé.

Certain.e.s sont indigné.e.s, d’autres sont résigné.e.s et beaucoup restent dans l’incompréhension. Dans l’attente d’une audience devant le juge ou d’un entretien OFPRA, les personnes se retrouvent en groupes : la zone d’attente devient a fortiori un lieu de socialisation dans la détresse.

Au fil de la journée, les visages défilent dans la chambre 38 : réagir vite, contrôler ses émotions ainsi que la frustration de ne pas pouvoir aider tout le monde. Mais surtout comprendre et se faire comprendre, souvent sans meilleur outil de communication que G*** traduction malgré l’importance des enjeux…

En fin de journée, les couloirs sont presque vides, les maintenu.e.s sont allé manger ; dernier passage par la police, la grille se referme derrière moi. J’observe cette frontière que je peux franchir car j’ai choisi d’être là, dans cet espace d’où je peux sortir, aller me reposer après une longue journée, rentrer chez moi dans l’intimité de mon appartement, sans risquer de me faire contrôler et oublier un moment l’odeur de l’enfermement.

Sur le quai du RER B, des centaines de touristes avec leurs valises s’amassent sur le quai, prêt.e.s à visiter la ville lumière. En les regardant, je me demande combien savent qu’il existe un monde parallèle au-delà des magasins de luxe et des salles d’embarquements, où s’effectue un tri minutieux et standardisé des personnes.

La méconnaissance généralisée des pratiques d’enfermement et d’éloignement aux frontières est bien la preuve que la mobilité est un privilège invisible, réservé à celles et ceux dont les passeports n’éveillent pas la suspicion des officiers de la PAF et sont donc exempts de contrôles approfondis et discriminations en tout genre. La frontière et ses impératifs sécuritaires reproduit les schémas d’oppression existants avec une intensité toute particulière, et alors que la PAF se félicite de son expertise et de son discernement pour déjouer les stratégies des « voyageurs à risques  » le contexte de la zone d’attente ne fait que multiplier les situations de vulnérabilité.

L’arrivée à l’aéroport est donc une expérience à plusieurs vitesses : pour un petit club restreint de passeports, le passage de la frontière est une formalité qui se résume au scan de son passeport sur une borne automatique ou à un coup d’œil rapide aux aubettes. Pour d’autres, il faudra passer par des contrôles au poste de police, des fouilles, de longues heures d’attente en salle de maintien et/ou en zone d’attente avant de pouvoir enfin fouler le sol français.

Mais pour beaucoup des personnes rencontrées en zone d’attente, le seul souvenir qu’elles emporteront de la France, sera probablement cette persistante odeur d’enfermement, désagréablement gravée dans ma mémoire après cette journée.

Anna, Intervenante Anafé, 2018