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Brève 2015 - Couple homosexuel persécuté – différence de traitement par l’OFPRA

lundi 1er août 2016

Couple homosexuel persécuté – différence de traitement par l’administration

Mercredi 16 septembre 2015, midi
Le téléphone de la permanence de l’Anafé sonne ; au bout du fil, un couple, Bilal et Saïd. Ils sont arrivés à Roissy la veille et l’entrée sur le territoire leur a été refusée. Dès leur placement en zone d’attente, ils sollicitent leur admission sur le territoire au titre de l’asile. Ils viennent d’un pays où l’homosexualité est sévèrement réprimée, aussi bien pénalement que socialement. Tous deux ont d’ailleurs déjà fait l’objet d’un procès pour ce motif, c’est pourquoi ils ont décidé de fuir. Ils ont d’abord pensé à aller en Russie, mais ont fait le triste constat que là-bas non plus, ils n’étaient pas les bienvenus. Ils arrivent donc de Saint-Pétersbourg et sont placés dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy le 15 septembre 2015.

Il est midi, le lendemain de leur arrivée, et ils nous téléphonent pour nous demander d’assister à leurs entretiens auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), l’après-midi même (à 14h00). Faute de moyens humains et faute de temps, il nous est impossible de répondre favorablement à cette demande. Pour autant, nous les aidons à préparer leur entretien et les informons sur le déroulé de ce dernier.
Ils sont interrogés séparément. Les entretiens durent environ 1 heure chacun. A 19h00, le soir même, la première décision tombe : la demande de Saïd est rejetée. Aucune décision n’est pour l’instant remise à Bilal.

Jeudi 17 septembre 2015, 16h
Saïd entre dans la chambre 38 de la ZAPI : c’est le bureau de la permanence de l’Anafé. Il est seul et bouleversé. Trente minutes plus tôt, Bilal a été appelé par la police aux frontières qui lui a annoncé son admission sur le territoire au titre de l’asile. Contrairement à celle de Saïd, sa demande n’a pas été considérée comme « manifestement infondée », alors même qu’elle reposait sur les mêmes motifs. L’Anafé rédige aussitôt une requête en annulation de la décision de refus d’admission au titre de l’asile pour que Saïd puisse rejoindre son compagnon et commencer leurs démarches sur le territoire.

Cette requête est rejetée le samedi 19 septembre par le Tribunal administratif de Paris. Il peut dès lors être renvoyé à tout moment.

Dimanche 20 septembre 2015
Saïd est renvoyé de force, sous escorte policière, sans être présenté au juge des libertés et de la détention. Il est réacheminé dans son pays d’origine, l’Algérie. Arrivé à destination, il est remis aux autorités de son pays, et placé en garde à vue pendant plusieurs jours. Aujourd’hui, il est assigné à résidence. Bilal a commencé ses démarches en France, et ne pourra donc retourner en Algérie qu’au risque de perdre son statut de demandeur d’asile. Quand ils se sont enlacés pour la dernière fois, ils étaient derrière les murs clos et froids de la ZAPI3.

Comment expliquer qu’un couple invoquant la protection de la France soit ainsi séparé ? Comment comprendre qu’un étranger puisse être réacheminé sans avoir vu le juge judiciaire ? Comment concevoir qu’un demandeur d’asile soit renvoyé directement dans le pays qu’il voulait fuir alors même que sa demande n’a pas été examinée au fond ? Comment expliquer que ce dernier soit remis aux autorités de ce même pays par la police française ? Comment s’assurer de la confidentialité de sa demande d’asile dans de telles conditions ?

Rien ne peut justifier la différence de traitement ente Bilal et Saïd. La demande de Bilal a été considérée comme fondée et il a été admis sur le territoire. Celle de Saïd a été considérée comme manifestement infondée et il a été renvoyé. Or, rien ne différait entre les deux demandes, si ce n’est que Bilal avait avec lui sa condamnation pénale dans son pays d’origine. Or, la demande d’asile en zone d’attente n’est pas une demande au fond mais un examen préalable à une demande sur le territoire. Par manifestement infondé, le législateur entend que la demande ne doit pas être dépourvue de crédibilité. Comme les situations de Bilal et Saïd étaient analogues (ils sont en couple, et il s’agit des mêmes faits), la demande de Saïd n’aurait pas dû être considérée comme manifestement infondée. Cela démontre que l’examen des demandes d’asile à la frontière revient à un examen au fond, contrairement à ce qui est prévu par la loi.

Rien ne peut expliquer non plus qu’une telle situation existe, si ce n’est, la criminalisation et la suspicion permanente que subissent les étrangers, alimentée par les politiques migratoires françaises et européennes. Elles valident et encadrent des dispositifs de « tri » telle que la ZAPI3 et décident arbitrairement du destin des étrangers se présentant à nos frontières, via notamment des examens superficiels de demandes d’asile. Ces politiques légitiment ainsi une vision manichéenne de l’immigration selon laquelle il y aurait de « vrais réfugiés » et des « migrants économiques » ; des « bons » et des « mauvais » migrants. Ainsi, elles sont les premières responsables d’un système qui enferme dans des conditions déplorables, et pendant des jours, des touristes, des enfants, des femmes enceintes, et qui renvoie des personnes persécutées dans les griffes des autorités de pays qu’elles tentent de fuir.

La situation de Saïd et Bilal n’est malheureusement pas isolée. Chaque année en France, des milliers d’étrangers subissent de plein fouet la politique répressive et ultra sécuritaire de la « patrie des droits de l’homme ».

Louise, Intervenante Anafé, 2015

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