Les droits humains en quarantaine : les frontières françaises à l’épreuve du covid-19
Publié le 19 Fév 2025
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EnfermementFrontières intérieures terrestresPublicationsRapports d'observationsZones d'attente
La pandémie mondiale de covid-19 a eu, entre mars 2020 et fin 2022, de nombreux retentissements dont certains trouvent encore des échos actuellement. La propagation brutale du virus en Europe à partir de mars 2020 et les drastiques restrictions de circulation qui en ont résulté, ont bouleversé comme rarement les mobilités internationales. Au cœur de la réponse des autorités politiques face à cette crise sanitaire majeure, la frontière s’est métamorphosée depuis 2020 en un outil de santé publique. Instrument capital de politiques migratoires de plus en plus restrictives et stigmatisantes, le renforcement de leurs contrôles, voire leur fermeture, ont été promus comme des nécessités dans la lutte contre l’épidémie. Indirectement, la crise sanitaire a ainsi conduit à porter de nouvelles atteintes aux mouvements de population et notamment à ceux des personnes en migration.
Aux frontières françaises, celles-ci ont continué d’être contrôlées, enfermées, refoulées, au détriment de leurs droits et de leur santé. Alors que le Président de la République avait appelé le 16 mars 2020 les Français à faire preuve « d’esprit solidaire et de sens des responsabilités », force est de constater que son message ne concernait pas sa propre police aux frontières (PAF). Le régime de l’état d’urgence sanitaire, en vigueur entre le 23 mars 2020 et le 31 octobre 2022, a constitué une fenêtre d’opportunité pour justifier des comportements illégaux et attentatoires aux droits fondamentaux de la part des forces de l’ordre, mais également de certains personnels médicaux, de juges et de responsables politiques.
Si l’Anafé dénonce depuis 35 ans les violations des droits, les pratiques discriminatoires et les traitements inhumains et dégradants que subissent les personnes étrangères aux frontières, elle n’a pu que constater leurs multiplications dans ce contexte spécifique. Ce moment critique a néanmoins été un puissant révélateur des dysfonctionnements d’une gestion de la frontière qui privilégie le tri, l’enfermement et le refoulement au respect des droits fondamentaux.
En présentant la frontière comme un « rempart » contre la propagation du virus, les autorités françaises ont justifié l’utilisation d’entraves à la mobilité, amalgamant contexte sanitaire et contrôle migratoire. Cette position a eu pour conséquence d’une part de laisser penser à la population que la fermeture des frontières protégerait contre l’éventuelle contamination par le virus, et d’autre part (et par voie de conséquence) que le virus et les risques qui y sont associés viendraient de l’extérieur, de l’étranger. Cela a renforcé la stigmatisation des personnes étrangères déjà lourdement impactées par les discours politiques discriminatoires et racistes depuis de nombreuses années.
La sidération provoquée par la propagation du covid-19 et les réponses tous azimuts des autorités ont exigé, dans le même temps, que l’Anafé adapte ses activités afin de garantir son rôle d’observatoire des pratiques policières aux frontières. Dès mars 2020, l’équipe salariée ainsi que les bénévoles, visiteurs et visiteuses, observateurs et observatrices et membres se sont mobilisés pour continuer les activités de terrain : l’adaptation des permanences juridiques et les visites ponctuelles en zone d’attente (ZA) ainsi que les observations aux frontières intérieures terrestres (FIT) ont permis d’assurer un suivi vigilant des conséquences pour les personnes en difficulté aux frontières de la crise sanitaire. Cette mobilisation s’est également traduite par de nombreuses actions de plaidoyer auprès des autorités et de contentieux engagés afin de faire respecter les droits fondamentaux des personnes malgré le contexte épidémique. Grâce à ces interventions, l’Anafé a su documenter deux années de gestion de la crise sanitaire aux frontières par les autorités françaises, dont il est apparu indispensable de tirer des conclusions, afin d’éclairer de possibles situations similaires à venir.
Cette analyse propose de confronter l’impératif de santé publique, priorité affichée des autorités lors de la période 2020-2022, à la réalité des situations aux frontières pour les personnes étrangères. Elle cherche, en creux, à illustrer et souligner l’incompatibilité de la privation de liberté avec les mesures de protection sanitaires. L’étude des recommandations émises par les institutions nationales et internationales, couplée à celle des comptes-rendus d’activités de l’Anafé (visites, permanences, observations d’audiences, suivis individuels) a permis de constater le gouffre entre les mesures sanitaires préconisées et adoptées pour la population globale et la non-application de celles-ci aux frontières et dans les zones d’attente. Si la différence de traitement entre les personnes étrangères et le reste de la population est souvent dénoncée par l’Anafé et les autres associations de défense des droits, force est de constater qu’elle a été l’élément central des politiques appliquées aux frontières pendant la crise sanitaire.
Si l’Anafé dénonce depuis 35 ans le durcissement des politiques migratoires menées par la France et l’Union européenne, la crise sanitaire a été un « moment critique » au cours duquel se sont multipliées les décisions et législations attentatoires aux droits fondamentaux dont la liberté d’aller et venir, contribuant au renforcement des pratiques discriminatoires et violentes à la frontière : refoulements, non-respect des procédures, enfermements illégaux, non-respect du droit d’asile… Les conditions d’enfermement aux frontières se sont également dégradées lors de cette période en l’absence d’une prise en compte du danger intrinsèque de la privation de liberté en contexte épidémique. Livrées à elles-mêmes, sans information ni accès suffisant à des matériels de protection, la santé des personnes enfermées en zone d’attente ou bloquées aux frontières intérieures terrestres a été gravement mise en danger. Faute d’une garantie d’accès à une justice protectrice de leurs libertés, elle-même en berne pendant la crise sanitaire, leurs droits ont été continuellement bafoués.
Tirant les conséquences de la crise sanitaire, le règlement (UE) n° 2024/1356 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 établissant le filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures, (dénommé ci-après « règlement filtrage »), prévoit des procédures tendant à renforcer le tri des personnes en migration se présentant aux frontières extérieures de l’Europe dont le tri sanitaire. Les dispositions relatives au contrôle sanitaire du Pacte européen sur la migration et l’asile semblent être une conséquence directe de la crise sanitaire liée au covid-19.
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Rapports d'observations
Les droits humains en quarantaine : les frontières françaises à l’épreuve du covid-19
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Analyses
L’enfermement des personnes aux frontières françaises. Un faux modèle pour la politique migratoire européenne.
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Réunions annuelles sur le fonctionnement des zones d’attente
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Boîte à outils