Le Commissaire aux droits de l’homme demande à la France de rendre effectif le recours des demandeurs d’asile et de ne plus enfermer de mineurs de 13 ans
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié hier un mémorandum faisant suite à sa visite en France en mai dernier. Thomas Hammarberg revient et confirme les préoccupations de l’Anafé concernant le recours suspensif pour les demandeurs d’asile à la frontière et l’enfermement des mineurs.
Concernant l’application du recours suspensif, le Commissaire met en avant les mêmes critiques relevées par l’Anafé au moment de la mise en place de ce recours : recours réservé aux seuls demandeurs d’asile, délai de recours trop bref (48 heures), impossibilité d’effectuer ce recours seul (sans juriste)… et après sa mise en place : les associations ne sont pas présentes tous les jours ni le week-end et il n’« est pas rare que des décisions de rejet soient notifiées le vendredi soir voire le samedi ou le dimanche ».
Le Commissaire invite les autorités françaises à « analyser les barrières juridiques et pratiques pouvant limiter l’accès effectif à un recours contre une décision de rejet de demande d’asile à la frontière ».
Dans sa réponse, le gouvernement assure que « le recours est effectif » d’une part en mettant en avant la simplicité de la requête ce qui rend raisonnable le délai de 48 heures, et d’autre part, en précisant que « l’ANAFE, à laquelle est reconnu un rôle de conseil juridique en vertu d’une convention signée avec l’Etat et qui bénéficie d’un accès permanent, (y compris les week-ends et jours fériés) à tous les lieux d’hébergement de la zone d’attente, est habilitée à aider l’étranger à présenter son recours et peut à cet égard s’organiser comme elle le souhaite ».
Or, concernant le recours, il faut préciser que la requête, qui peut être rejetée au tri, c’est-à-dire sans audience, doit être motivée en droit et en fait sous peine d’irrecevabilité. De plus, c’est lors de la rédaction de la requête qu’il faut demander l’assistance d’un interprète pour pouvoir s’exprimer le jour de l’audience y compris avec un avocat à ses côtés.
En outre, l’Anafé tient à rappeler que la convention ne prévoit cette présence que pour la seule zone de Roissy et qu’elle n’y est pas présente tous les jours. En fait, seules les personnes retenues dans la partie dite « d’hébergement hôtelier » ZAPI 3 peuvent bénéficier de notre assistance, l’Anafé ne disposant que d’un accès restreint dans les aérogares de l’aéroport (3 fois par semaine, en prévenant la veille et dans l’impossibilité de parler aux personnes « en cours de procédure »).
L’Anafé, qui fonctionne actuellement avec des bénévoles, a fait il y a quelques mois une demande de subvention aux autorités françaises afin d’améliorer l’accès aux droits des personnes maintenues dans les zones d’attente. Cette demande n’a toujours pas reçu de réponse.
Concernant l’enfermement des mineurs, le Commissaire regrette que « que les centres de rétention administrative et les zones d’attente à la frontière soient les seuls lieux en France où des mineurs de moins de treize ans sont privés de liberté » et recommande que ces lieux ne soient plus des lieux d’exception.
Il semble que les autorités françaises, en répondant qu’un administrateur ad hoc est bien nommé pour assister les mineurs et qu’ils sont hébergés dans un quartier qui leur est dédié, n’ont pas pris conscience que le commissaire demande à la France de ne plus enfermer de mineurs de 13 ans et non d’aménager leur enfermement.
L’Anafé demande depuis de nombreuses années l’arrêt de l’enfermement et du refoulement des mineurs isolés en zone d’attente .
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Extrait du rapport du Commissaire aux droits de l’homme relatifs à la zone d’attente
Sur le recours suspensif pour les demandeurs d’asile
121. Enfin, la loi du 20 novembre 2007 a introduit un recours suspensif pour la procédure de demande d’asile à la frontière, suite à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 avril 200766. Tout en saluant la célérité avec laquelle la décision a été prise en compte en droit interne, le Commissaire a pu entendre certaines réserves quant aux modifications apportées. Ainsi, la CNCDH indique entre autres que le nouveau texte de loi « introduit un recours suspensif pour la seule procédure de demande d’asile à la frontière, limitant ainsi la réforme à la procédure concernée par le cas d’espèce pour lequel la France a été condamnée par la Cour. Or, il y a d’autres procédures dans le domaine du droit d’asile ou du droit des étrangers dans lequel un recours suspensif n’est pas prévu »67. De plus, l’effectivité du recours est remise en cause par nombre d’observateurs68 en raison notamment du délai extrêmement bref – 48 heures – pour formuler l’appel. Ce délai court est également applicable pendant les week-ends ou les jours fériés et il n’est pas rare que des décisions de rejet soient notifiées le vendredi soir voire le samedi ou le dimanche. L’aide juridique en zone d’attente est généralement fournie par des militants associatifs qui ne sont pas présents dans l’ensemble des zones et ne peuvent offrir un service continu en raison du caractère non rétribué de leur engagement. Enfin, il n’est mis à la disposition des demandeurs d’asile, pour leur permettre de formuler leur appel, aucun moyen de communication avec l’extérieur en dehors de ceux offerts par les associations.
Recommandations du Commissaire
17. Le Commissaire invite les autorités à analyser, en concertation avec les institutions nationales indépendantes, les barrières juridiques et pratiques pouvant limiter l’accès effectif à un recours contre une décision de rejet de demande d’asile à la frontière ainsi qu’à revoir au plus vite les mécanismes et délais liés à la procédure d’asile en rétention.
Réponse du gouvernement
§ 121 et 122 relatifs aux modalités du recours en annulation contre les décisions de refus d’entrée en France, au titre de l’asile :
Tirant les conséquences de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, GEBREMEDHIN c/France du 26 avril 2007, la loi du 20 novembre 2007 a institué un recours en annulation pleinement suspensif contre les décisions de refus d’asile à la frontière. Cette mise en oeuvre dans des délais rapides d’une décision de la Cour, saluée par le Président de la Cour, souligne la volonté des autorités françaises de se conformer aux engagements internationaux de notre pays. Ce dispositif apporte aux demandeurs d’asile une garantie nouvelle très notable, qui était recommandée depuis plusieurs années par plusieurs comités internationaux de protection des droits de l’homme.
La lecture de l’arrêt de la Cour démontre que le législateur a pleinement satisfait aux exigences posées par cet arrêt et en a parfaitement respecté la portée. En effet cet arrêt porte exclusivement sur le régime applicable aux demandes d’asile à la frontière et sur les exigences découlant de l’article 3 (interdisant les mauvais traitements) et de l’article 13 (sur le droit au recours) de la Convention et ne concerne pas d’autres aspects du droit des étrangers. On rappellera également que le droit français prévoit déjà de manière générale, pour les étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement pour séjour irrégulier, un recours en annulation, également pleinement suspensif, devant le juge administratif. L’effectivité de ce recours est assurée : le délai de 48 heures pour former un recours, délai rendu nécessaire pour être compatible avec la durée totale du maintien en zone d’attente (soit 30 jours, une des durées les plus courtes de l’ensemble des Etats de l’Union européenne), est raisonnable dans la mesure où ce recours n’est pas soumis à des formalités particulières et peut être exercé très facilement. Précisément parce que la loi a institué une procédure orale devant le juge, le recours écrit peut être présenté de manière très sommaire, sans qu’à ce stade, la présence d’un avocat soit nécessaire. Ce dernier pourra assister l’étranger lors de l’audience, en étant alors le cas échéant désigné d’office, et exposer l’ensemble des craintes alléguées. En zone d’attente, toutes facilités sont offertes au demandeur d’asile pour qu’il puisse exercer son recours et l’ANAFE, à laquelle est reconnu un rôle de conseil juridique en vertu d’une convention signée avec l’Etat et qui bénéficie d’un accès permanent, (y compris les week-ends et jours fériés) à tous les lieux d’hébergement de la zone d’attente, est habilitée à aider l’étranger à présenter son recours et peut à cet égard s’organiser comme elle le souhaite.
Recommandation n°17 relative aux recours contre une décision de rejet de demande d’asile à la frontière :
Le régime juridique applicable aux recours contre les décisions de refus d’asile à la frontière est intégralement conforme à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Gebremedhin c/France du 27 avril 20007 dont il découle, et les droits et facilités reconnus en vertu ce texte, comme en application de la réglementation applicable aux zones d’attente telle qu’elle résulte du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile garantissent l’effectivité de cette voie de recours. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, chargé du suivi de l’exécution des arrêts de la Cour et qui a été saisi par la CNCDH, devrait examiner cette question.
Les mécanismes et les délais applicables à l’examen des demandes d’asile présentées en rétention sont tributaires des limites de la durée de la rétention et doivent se concilier avec la nécessité d’assurer l’effectivité des décisions administratives et juridictionnelles. Les autorités françaises restent cependant très attentives à assurer un examen effectif de la demande d’asile entouré de toutes garanties.
Sur le maintien des enfants en zone d’attente
96. Malgré la recommandation du rapport de 2006, la présence d’enfants accompagnant leurs parents en centre de rétention administrative s’est accrue. Onze CRA ont été aménagés spécialement pour recevoir des familles. En 2007, la CIMADE a comptabilisé 154 familles accueillies avec 242 enfants de tous âges. Il est à regretter que les centres de rétention administrative et les zones d’attente à la frontière soient les seuls lieux en France où des mineurs de moins de treize ans sont privés de liberté.
Selon les statistiques collectées par la CIMADE, près de 80 % des enfants retenus en 2007 avaient moins de 10 ans55 et des nourrissons de 15 mois voire des nouveau-nés – 3 semaines – ont été placés en rétention avec leurs parents. Si cette privation de liberté est en générale inférieure à 2 jours, dans 28 % des cas elle se prolonge pendant plus de 10 jours56. De plus, le nombre de places réservées aux familles étant insuffisant, il arrive que des familles soient retenues dans des CRA ordinaires, où les enfants sont mélangés avec des adultes.
Recommandation du comissaire
Protection des droits de l’homme dans le contexte de l’immigration et de l’asile 12. Le Commissaire recommande que les centres de rétention administrative et les zones d’attente à la frontière ne soient pas des lieux d’exception quant à la détention des mineurs de moins de treize ans et invite les autorités à ne recourir à la rétention administrative de familles que dans des cas d’extrême nécessité.
Réponse de la France
Enfin, s’agissant des mineurs placés en zone d’attente, ils le sont en vertu des dispositions du CESEDA, qui prévoit notamment que lorsque le mineur non accompagné d’un représentant légal n’est pas autorisé à entrer en France, le Procureur de la République, avisé immédiatement par l’autorité administrative, lui désigne sans délai un administrateur ad hoc.
La direction de la police aux frontières de l’aéroport de Roissy-Charles de GAULLE veille scrupuleusement au respect de cette disposition, le juge des libertés et de la détention sanctionnant les désignations et les déplacements tardifs desdits administrateurs. En outre, à Roissy-Charles de GAULLE, les mineurs de moins de 13 ans sont hébergés dans un quartier qui leur est dédié, sous la surveillance spécifique de médiateurs de la Croix-Rouge Française, sur la base d’une convention additive.
Objectifs chiffrés
99. Comme indiqué dans le cadre de sa visite des Zones d’attentes de l’aéroport de Roissy et du CRA du Mesnil-Amelot, le Commissaire craint que la pression engendrée par les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière pousse les force de l’ordre à procéder à de plus en plus d’interpellations avec des méthodes parfois contestables. Plusieurs associations ont fait état auprès du Commissaire d’un accroissement des contrôles « au faciès » et du détournement de commissions rogatoires afin de procéder à des contrôles d’identité sur une zone étendue. Quatre citoyens français auraient ainsi été placés en rétention en 2007 avant d’être ultérieurement libérés. Dans son avis sur la situation à Mayotte, la CNDS dénonce la reconduite à la frontière de citoyens français vers les Comores. Ces pratiques illégales sont heureusement exceptionnelles mais démontrent l’impact que peut avoir une politique centrée sur la réalisation de chiffres où le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits des individus.
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