Brève avril 2019 – Vacances en France : l’envers du décor
Le matin du 19 décembre 2018 Cristelle* se réveille dans le lit qu’elle s’est vu assigner la veille. Elle doit partager sa chambre avec une personne qu’elle ne connaît pas dans le couloir « femmes et familles », situé à quelques pas de celui réservé aux hommes. Le confort y est très sommaire : deux lits, deux étagères et un lavabo. Dans les couloirs s’enchaînent rangées de toilettes, de douches ressemblant à des « préfabriqués » et de cabines téléphoniques oranges rappelant celles des prisons. Toutes les fenêtres sont condamnées – avec des barreaux pour certaines – et les caméras de surveillance observent les moindres mouvements. Le bourdonnement des micros résonne entre les murs, appelant d’autres personnes maintenues à se rendre au poste de police, parfois avec leurs bagages, pour un potentiel renvoi par avion.
Quand viendra le tour de Cristelle ? Du fait de l’imminence d’un refoulement, une ambiance étouffante et anxiogène règne dans ce lieu. Tout, de l’architecture du bâtiment, à sa gestion en passant par une surveillance constante par la police aux frontières (PAF), s’apparente à un environnement quasi-carcéral. Pourtant, Cristelle ne se trouve pas dans une prison mais dans le lieu d’hébergement de la zone d’attente située près de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.
La veille, cette touriste ivoirienne est contrôlée à son arrivée sur le territoire et fait l’objet de décisions de refus d’entrée et de maintien en zone d’attente. Les agents de la PAF considèrent qu’elle ne remplit pas les conditions pour entrer en France car elle ne dispose pas de « ressources suffisantes ». Elle possède bien un visa, mais elle doit tout de même présenter certains justificatifs sur sa situation : un hébergement, une assurance et des ressources couvrant la totalité de son séjour, ainsi qu’un billet retour.
Cristelle est d’abord enfermée au poste de police de l’aérogare. Elle est interrogée, ses empreintes sont vérifiées, une fouille de ses bagages et une palpation de sécurité sont réalisées. Elle doit ensuite patienter dans une cellule exiguë et lugubre, sans fenêtre et sous surveillance constante. Lors de son transfert au lieu d’hébergement de la zone d’attente, dans la zone de fret de l’aéroport, elle voit s’approcher un grand bâtiment gris, austère et entouré de grillages et de barbelés. Alors que les décollages et atterrissages d’avions défilent sous ses yeux, elle se retrouve contrainte dans ses déplacements, bloquée dans sa mobilité.
Cristelle s’empresse de régulariser sa situation. Au moment où nous la rencontrons, elle possède désormais 2350 euros, ce qui est suffisant pour la durée de son séjour. Plus aucune raison de ne pas la laisser poursuivre son voyage. Pourtant, la PAF refuse de revenir sur sa décision initiale.
Peu importe que Cristelle soit habituée des séjours en France puisqu’il s’agit de son troisième visa. Peu importe qu’elle dispose d’une attestation de travail et de congés justifiant le motif touristique de son séjour. Peu importe, enfin, qu’elle remplisse désormais toutes les conditions d’entrée en France. Cristelle est finalement renvoyée à Abidjan le 23 décembre 2018, après cinq jours d’enfermement.
L’histoire de Cristelle n’est qu’un exemple parmi d’autres du pouvoir discrétionnaire dont dispose l’administration à la frontière.
Témoin depuis 30 ans d’histoires comme celle de Cristelle et des multiples entraves au respect des droits des personnes confinées en zone d’attente, l’Anafé continue de démontrer à travers ses actions qu’on ne peut pas enfermer dans le respect de la dignité des personnes. Non, l’introduction d’un droit à la frontière n’a pas fait disparaître les pratiques illégales, les détournements de procédures et l’enfermement de personnes plus vulnérables telles des personnes malades, demandeuses d’asile ou mineures. Quelle que soit la forme qu’elle prend, la privation de liberté entraîne nécessairement des violations des droits et s’inscrit dans une politique de mise à l’écart et de criminalisation des personnes étrangères. Le contrôle sécuritaire et répressif des frontières doit cesser d’être la règle. La zone d’attente ne peut être considérée comme un mal nécessaire : il faut mettre fin à l’enfermement administratif aux frontières.
Coralie, militante à l’Anafé
Avril 2019
*Dans un souci de protection de la confidentialité, le prénom a été modifié.
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