Brève 2020 – La contestation de la minorité : récit de la grande solitude des enfants en ZA

Publié le 06 Jan 2020

Modifié le 20 Nov 2024



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Joseph (prénom d’emprunt) est un jeune ressortissant congolais de 17 ans. Lorsqu’il arrive à l’aéroport d’Orly, le 26 janvier, il a déjà traversé plusieurs pays depuis le début de son périple. Après avoir quitté le Congo Brazzaville, il a rejoint la Turquie, et a ensuite traversé la mer Egée pour atteindre la Grèce. Bloqué durant plusieurs mois sur l’ile de Lesbos dans des conditions inhumaines, il a pris un avion pour la France où il espère pouvoir demander l’asile.

Joseph a accompli ce voyage tout seul, et c’est dans cette solitude qu’il est maintenu en zone d’attente, pendant 11 jours, après avoir fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire.

Pourtant, en tant que mineur isolé, un administrateur ad hoc devrait l’assister durant son maintien en zone d’attente. Administrateur qui devrait le représenter au cours des épineuses procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien, ainsi qu’à celles afférentes à son entrée en France. En effet, la loi prévoit qu’un tel administrateur devrait être désigné sans délai par le procureur de la République, qui doit impérativement être avisé par l’autorité administrative lors du placement en zone d’attente d’un mineur.

Mais Joseph est reconnu majeur par la police dès le tout premier contrôle dont il fait l’objet. Il a pu voyager grâce à un faux document, souvent la seule option ouverte aux demandeurs d’asile désireux d’entrer en France qui, en l’absence de voies légales d’accès, se voient contraints de prendre des voies dangereuses et d’avoir recours à des passeurs. Pourtant, il possède également sa carte d’étudiant et son bulletin scolaire, sur lesquels apparait sa date de naissance, documents que la police décide délibérément d’ignorer.

Voué à lui-même, il vit les premiers jours de maintien sans être entendu par personne, alors qu’il clame sa minorité et qu’il veut demander l’asile. Ce n’est qu’après son passage devant le juge des libertés et de la détention (JLD), quatre jours plus tard, que des démarches sont entreprises par la police afin de vérifier sa minorité et d’enregistrer sa demande d’asile, à la demande de l’avocate qui l’a assisté à l’audience devant le JLD.

Deux tests osseux, un test dentaire et une radiographie des mains sont effectués sans le consentement pourtant obligatoire de Joseph, donnant deux résultats contradictoires et cependant très proches de la minorité (18 et 19 ans). Cette pratique d’évaluation de la minorité, pourtant très répandue, est fermement contestée par la doctrine médicale, et le Conseil Constitutionnel a récemment reconnu qu’elle peut comporter une marge d’erreur « significative ». Cependant, Joseph continue à être considéré comme majeur, et aucun administrateur ad hoc n’est donc désigné pour l’accompagner dans ses démarches.

Joseph a demandé son admission sur le territoire au titre de l’asile et, en tant que mineur, un administrateur ad hoc devrait assister à l’entretien mené par l’officier de protection de l’OFPRA. Il est pourtant tout seul à cet entretien se déroulant par visioconférence, et se voit contraint de raconter ses craintes de persécutions à l’écran d’un ordinateur qui rencontre des problèmes techniques et se déconnecte au milieu de l’entretien.

Une décision de rejet lui est notifiée le jour même, et c’est le jour suivant qu’il parvient à entrer en contact avec l’Anafé. Sa voix parait si jeune aux intervenantes qui l’écoutent lors d’une permanence téléphonique et qui décident aussitôt de rédiger un recours contre cette décision. Le délai de 48h est déjà bien avancé, et elles se heurtent au refus de la police de leur transmettre les documents nécessaires, risquant de priver le jeune de son droit à un recours effectif. Ce n’est qu’après une saisine en urgence par la direction de l’Anafé de la Direction centrale de la police aux frontières qu’elles les obtiennent et peuvent rédiger le recours.

Joseph se retrouve à nouveau seul dans la salle d’attente du tribunal, sous l’œil vigilant d’un cordon de policiers. Sa solitude et sa vulnérabilité éclatent plus brutalement encore lorsqu’il s’installe dans la grande, somptueuse et intimidante salle d’audience du tribunal administratif de Paris.

Son avocat (qui, malgré sa désignation la veille, a pu étudier et plaider le recours préparé par l’Anafé) ne pouvant pas attendre le délibéré, Joseph se retrouve à nouveau seul face au juge. Le magistrat considère finalement qu’un doute sur sa majorité subsiste et le libère, en l’admettant sur le territoire au titre de l’asile. Joseph semble perdu, désemparé, et ne parait pas comprendre ce qui se passe. L’intervenante de l’Anafé, présente en qualité d’observatrice, et l’interprète désignée pour l’assister à l’audience parviennent à joindre des connaissances du jeune qui habitent à Paris et qui le prennent en charge le soir même.

Si les quelques garanties qui entourent la procédure de maintien en zone d’attente des mineurs (essentiellement la désignation d’un administrateur ad hoc) ne suffisent pas à assurer l’intérêt supérieur de l’enfant (censé être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les mineurs), l’histoire de Joseph témoigne de leur non application à certains d’entre eux qui, pourtant si vulnérables, se retrouvent abandonnés à eux-mêmes, seuls, dans un lieu privatif de liberté.

Francesca, Intervenante Anafé, 2020

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