Brève 2009 – D’Ingrid à Nathaly : y a-t-il « une lumière au bout du chemin » ?

Publié le 07 Jan 2013

Modifié le 20 Nov 2024



AsileTémoignages

Les conditions de l’accueil des demandeurs d’asile aux frontières françaises restent bien mal connues. On peut, sans crainte de se tromper, avancer qu’il s’agit là d’une stratégie délibérée de la part des pouvoirs publics que de garder dans l’ombre une réalité qui, si elle éclatait au grand jour, ne manquerait pas de choquer les citoyens, toutes (ou presque) orientations politiques confondues. Dissimuler reste donc le mot d’ordre, à l’image de ce bâtiment austère et clôturé que l’on dénomme, dans le « jargon » des acteurs qui s’y agitent et s’y confrontent, la ZAPI (zone d’attente pour personnes en instance).

Parmi ces acteurs, il en est un dont le rôle est crucial dans le devenir de ces personnes qui, fuyant des menaces et des persécutions, sont parvenues jusqu’à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, pour chercher l’asile dans le pays que beaucoup d’entre elles considéraient – jusqu’à leur arrivée du moins – comme le pays des droits de l’homme. Cet acteur, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, est « chargé de l’application des textes français et des conventions européennes et internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride et à l’admission à la protection subsidiaire ». Le service de l’OFPRA présent dans la ZAPI de Roissy intervient dans le cadre de la procédure dite de l’asile à la frontière : ses agents s’entretiennent avec les personnes concernées, et « examinent les motifs de leur démarche, en vue de communiquer au ministère de l’Immigration, dès après l’entretien, un avis positif ou négatif quant à leur admission sur le territoire ». La particularité de ce service de l’asile aux frontières est que les avis émis par les agents de l’OFPRA – et qui sont de facto repris tels quels dans la décision du ministère – doivent exclusivement porter « sur le caractère manifestement infondé ou non de chaque demande », l’instruction au fond étant réalisée à un stade ultérieur, lorsque la personne est entrée sur le territoire national.

La détermination de ce caractère « manifestement infondé ou non » devrait, en théorie, s’effectuer en référence au texte de la Convention de Genève de 1951 par lequel la France s’est engagée à accorder l’asile aux personnes « craignant avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, (…) et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. »

Pourtant, force est de constater que la loi s’efface, en ZAPI, devant les exigences d’un Etat qui a renoncé à ses engagements.

Nathaly est une jeune colombienne de 21 ans. Est-ce en raison de son bonnet rose et de ses yeux candides qu’elle n’a inspiré que de la défiance à l’agent de l’OFPRA censé l’avoir entendue ? Les cicatrices interminables qu’elle porte sur le corps font pourtant tressaillir, et trahissent l’atrocité de ces souffrances que les yeux brillants de la jeune fille pourraient faire oublier. Nathaly parle, aussi. Elle l’a pourtant expliquée, son histoire. Cette histoire qui a commencé lorsqu’elle n’avait que 14 ans, et que les FARC ont abattu son père, avant de la prendre en otage. Six mois attachée à un arbre, violée à plusieurs reprises, tombée enceinte. « Puis ils ont tué mon bébé ! »…un second enlèvement, à l’âge de 18 ans, encore huit mois passés enchaînée à un tronc, sous-alimentée et maltraitée. Ses cicatrices sont là pour le lui rappeler, si tant est que ce passé-là puisse s’oublier. Nathaly se défend, aussi. Elle a même apporté des preuves qui pourraient l’aider à se débarrasser de cette suspicion dont tous les habitants de la ZAPI sont la cible. Certificat de décès de son père, certificat de naissance de son bébé…et la lettre de sa mère : « Dans cette situation je vous demande s’il vous plait de prendre ma fille dans votre pays, car c’est la seule manière de la maintenir en vie ».

Nathaly a « eu son rejet ». « Ses propos lapidaires apparaissent particulièrement puérils ». L’indignation et la colère ne permettent plus aujourd’hui de garder le silence.

Quelle est cette justice qui relègue avec mépris Nathaly dans les oubliettes du caractère – ô combien fallacieux – « manifestement infondé » de sa demande, de son histoire, de son passé, et de cet avenir qu’elle a perdu en un instant ?

« Que tous ceux qui souffrent dans le monde sachent qu’il y a une lumière là, au bout du chemin » déclarait alors le président de la République. Tout semble bien éteint dans les couloirs de la ZAPI.

Un peu par hasard, grâce au coup de pouce d’un jeune palestinien qui l’avait vu pleurer dans le « jardin » de la ZAPI, Nathaly est venue au bureau de l’Anafé. Nous ferons un recours contre la décision de l’OFPRA : 2h d’entretien, 2h de rédaction, au bas mot. A notre grande surprise – car nous sommes hélas trop habitués au fonctionnement bien rôdé de la « machine à refouler » – le Tribunal administratif (TA) acceptera sa requête et annulera le rejet. Soulagement quelque peu amer. D’abord, parce qu’il s’agit malheureusement d’une vraie exception – la très grande majorité des recours devant le TA sont rejetés, quelle que soit la gravité des cas présentés. Ensuite, parce que cela n’ôte rien à l’injustice commise par l’OFPRA à l’égard de cette personne, et donc au non-respect par l’Etat français de ses engagements vis-à-vis des demandeurs d’asile. Enfin, parce que ce n’est que le début d’un long et difficile processus en vue de l’obtention du statut de réfugié : sur le territoire français, la demande d’asile de Nathaly devra de nouveau passer au crible de l’OFPRA.

Marie, Intervenante Anafé, 2009

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