Témoignage 2012 – Une famille haïtienne humiliée par la police aux frontières française

Publié le 01 Avr 2014

Modifié le 20 Nov 2024



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Madame C., âgée de 76 ans et sa fille Y.R., 33 ans, sont arrivées d’Haïti, via la Guadeloupe, à l’aéroport d’Orly le 31 juillet dernier, en transit pour prendre un autre avion le même jour à destination de la Suisse.

Elles allaient rendre visite à E.N., fille de Mme C. et grande soeur de Y.R, qui vit en Suisse depuis plusieurs années et les avait invitées à passer l’été avec elle.

Elles ont cependant été refoulées immédiatement en Haïti sans être autorisées à pénétrer sur le territoire européen, ni même transférées en zone d’attente.

Etant donné qu’il n’y a plus d’ambassade de Suisse en Haïti, c’est celle d’Espagne qui délivre les visas Schengen. Les nombreux documents demandés (assurance-maladie de Mme C. et de sa fille Y.R, preuve d’inscription au registre de commerce de Port-au-Prince où Mme tient un salon de beauté, attestations bancaires des 6 derniers mois de Y.R, lettre d’invitation de E.N. qui vit en Suisse, attestation de salaire du mari suisse d’E.) ont été déposés à l’ambassade d’Espagne qui a délivré à Madame C. et à sa fille Y.R un visa de court séjour. L’ambassade conservera les documents provenant de la Suisse, et rendra à Y.R son inscription au registre de commerce, ainsi que son attestation bancaire pour voyager.

A leur arrivée en France, la police aux frontières (PAF) contrôle leurs documents. Alors commence le calvaire de cette famille qui voyage pour la première fois en Europe. Comment pouvait-elle savoir qu’elle aurait dû également être en possession des papiers conservés par l’ambassade d’Espagne ? C’est après deux heures d’âpres négociations et avec beaucoup de difficultés que ces femmes ont pu avoir accès à un téléphone pour prévenir leur famille en Suisse qu’elles n’étaient pas admises à transiter par la France. La PAF leur avait signifié que si elles ne signaient pas les documents de « refus d’entrée sur le territoire français », elles ne pourraient pas appeler les proches qui les attendaient en Suisse.

Le mari d’E.N qui tentait d’expliquer calmement au téléphone la situation à la PAF, en lui proposant d’envoyer immédiatement par mail la copie des documents manquants (lettre d’invitation et attestation de salaire), s’est vu raccrocher au nez. Quand il a envoyé le mail, juste après cette conversation téléphonique, il était déjà trop tard, les deux femmes étant déjà dans l’avion de retour vers Haïti. Soit deux heures après leur arrivée en France, après dix heures de vol et six heures de décalage horaire, et alors que, selon la « décision de maintien », dans l’annexe 2/1 de la Direction centrale de la police aux frontières, cette famille pouvait « être maintenue en zone d’attente pendant une durée de 96 heures ». La PAF ne pouvait-elle pas attendre quelques minutes la réception de ce mail ?

Comme la plus jeune manifestait son mécontentement, la PAF lui aurait répondu : « si vous protestez, on vous mettra des menottes ». Pourquoi ? Quel crime avait-elle donc commis ? Pour aller aux toilettes, ces deux femmes étaient accompagnées d’un policier, jusque devant la porte des WC.

Mme C., traumatisée par tant d’agressivité et d’humiliation, est tombée malade : crise d’hypertension artérielle, diarrhée, etc.

L’un des motifs de leur renvoi en Haïti est qu’elles « ne disposent pas de moyens de subsistance suffisants correspondant à la période et aux modalités de séjour, au retour vers le pays d’origine ou de transit ». Une policière leur a indiqué qu’elles auraient dû être en possession de 6 000 €. Mais la personne qui les a invitées n’est-elle pas responsable de leur séjour en Suisse ?

Par ailleurs, dans l’annexe 2/2 du document « notification et motivation de la décision de maintien en

zone d’attente des étrangers… » qui leur a été remise, il est mentionné au paragraphe 4 intitulé « Vos droits » : « La loi française vous donne la possibilité de partir à tout moment vers toutes destinations situées hors de France…. ». Donc, tout ce que le policier avait à faire, c’était de les accompagner pour s’assurer qu’elles prennent leur vol pour la Suisse afin qu’elles ne restent pas en territoire français.

Or, les policiers et les douaniers français ont refusé toute discussion et ont décidé de ré-embarquer cette famille sans délai. Les deux femmes ont été conduites par des policiers jusqu’à leurs sièges à l’arrière de l’avion. Cette attitude a été vécue comme discriminante, elles y ont vu un abus d’autorité et un manque de respect élémentaire.

Arrivée en Haïti, cette famille est retournée à l’ambassade d’Espagne (à Port-au-Prince) qui ne comprend pas les raisons de ce renvoi. Ces femmes sont revenues en Suisse le 7 août dernier. Elles sont passées sans encombre par la République Dominicaine et l’Espagne, mais ont dû acheter un nouveau billet d’avion aller retour, engendrant des frais supplémentaires de plus de 2000 €.

Rose M., amie de Mme C, 2012

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