Brève 2016 – Pas de suspens au tribunal administratif
Ce mardi après-midi, le tribunal administratif de Paris accueille un spectacle ahurissant.
Sur le banc, dans l’entrée, s’alignent les personnes retenues (centre de rétention administrative) et maintenues (zone d’attente) derrière un cordon de sécurité. Sous l’œil vigilant des policiers, ils attendent plus ou moins sereinement 13h30 pour pénétrer dans la salle d’audience dans laquelle sera décidé leur libération ou la prolongation de leur enferment. Dans le couloir, isolés par des panneaux de verre, ce sont les avocats qui s’affairent. Certains discutent des derniers détails avec leur client. D’autres découvrent, seulement quelques minutes avant l’audience, le dossier qu’ils vont défendre devant le juge. Une greffière fait des allers-retours entre les uns et les autres, récupère des documents, revient avec des photocopies, appelle des noms sans obtenir de réponse.
Puis chacun prend sa place. Les personnes étrangères s’alignent sur la rangée de banc à droite, en compagnie de leurs avocats. Sur la rangée de gauche, s’installent les accompagnateurs et observateurs, familles, associations ou simples curieux. Devant eux, les avocats de l’administration se tiennent prêts, une épaisse pile de papiers devant eux. Au fond de la salle vont s’asseoir une demi-douzaine de policiers tandis que deux autres se tiennent debout de chaque côté de la porte de la salle d’audience.
Lorsque la juge entre, tous se lèvent. Un policier rappelle à l’ordre les personnes étrangères qui tardent à le faire. La juge prend place sur l’estrade : l’audience est ouverte. Les affaires se succèdent.
Un homme, accompagné de sa femme malade et enceinte de 8 mois est menacé de renvoi en Tunisie. Le cas est défendu par un avocat d’apparence très jeune. Il déploie une énergie incroyable pour défendre son client, usant d’un pathos redondant dans cette situation dont les faits parlent d’eux-mêmes. La juge écoute, impassible. Vient la plaidoirie de l’administration, qui tranche par sa technicité. Toujours imperturbable, la juge acquiesce, remercie l’avocat et appelle l’affaire suivante. Un demandeur d’asile, en procédure Dublin est menacé d’être renvoyé en Hongrie. Son avocate attire l’attention de la juge sur les conditions de rétention de ce pays, plusieurs fois dénoncées dans des rapports du HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés des nations unies) et de diverses organisations non-gouvernementales. Vient ensuite une maintenue haïtienne, demandant son admission sur le territoire au titre de l’asile. Elle a fui son pays en raison des persécutions qu’elle y a subies du fait de ses engagements politiques.
Onze personnes, maintenues et retenues, défilent ainsi à la barre. A aucun moment, la juge ne s’adresse à elles. Une fois cependant, elle se tourne vers un retenu : « comment Monsieur ! Cela fait 16 ans que vous habitez en France et vous ne parlez pas français ? ». Silence gêné. L’interprète finit par lui traduire les paroles de la juge. Excédée, celle-ci congédie l’étranger avant qu’il n’ait pu répondre. Dans la salle, un malaise certain s’installe. Au ton de la juge et aux regards exaspérés de leurs avocats, plusieurs étrangers semblent avoir deviné que l’audience s’annonçait mal.
Alors qu’une jeune avocate commence sa plaidoirie pour défendre son client menacé de renvoi, elle est immédiatement interrompue par la juge qui lui indique que le moyen qu’elle soulève est inopérant. Lorsque l’avocate se retourne pour interroger du regard son collègue assis derrière, la juge la reprend sèchement : « écoutez, il est un peu tard pour prendre des cours de droit ». Quand c’est au tour de l’avocat de l’administration de prendre la parole et que lui aussi s’embrouille dans les moyens qu’il soulève, la juge lui adresse un sourire bienveillant et l’encourage à reprendre.
La situation se tend encore un peu plus lorsque l’avocate d’un étranger continue sa plaidoirie alors que la juge l’a interrompue dès les premières phrases, affirmant une fois de plus que les moyens qu’elle soulève sont inopérants. L’avocate poursuit malgré tout, la juge se fâche et le ton monte. L’audience est suspendue, la juge quitte la salle. L’avocate se tourne alors vers les observateurs : elle prend les contacts des gens prêts à témoigner de ce qui vient de se passer. Elle fulmine : « je la connais bien cette juge ! Vous attendez les jugements ? Mais il n’y a pas de suspens avec elle ! Elle renvoie tout le monde. A ce niveau-là, ce n’est plus de la justice, c’est de la politique. Elle sert ses convictions ».
La juge revient. Tout le monde se lève à nouveau. L’audience se poursuit dans un sentiment de malaise général. Les dossiers s’enchainent. La juge décide d’une seconde suspension pour délibérer. Elle revient une quinzaine de minutes plus tard : les 11 requêtes sont rejetées, sans motivation orale. Plusieurs avocats ont déjà quitté la salle sans attendre les jugements : effectivement, pas de suspens.
Sophie-Anne, Intervenante Anafé 2016
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