Brève 2016 – « L’Europe, ce n’est pas D***land ! »
Quand les interprètes s’aventurent au-delà de la traduction
Noelia Liz est arrivée du Paraguay le 18 février 2016 pour passer quelques jours de vacances en Espagne. Mais, arrivée à Paris où elle devait prendre une correspondance pour Malaga, la police aux frontières ne l’a pas laissée poursuivre son transit au motif qu’elle ne disposait pas d’un viatique suffisant, ni d’un hébergement pour toute la durée de son séjour.
L’officier de police qui l’a contrôlée lui a posé une multitude de questions sur les « réels » motifs de son séjour. Elle a alors expliqué tant bien que mal (ne parlant pas français) qu’elle n’était pas du tout au courant de la nécessité d’avoir une lettre d’invitation pour se rendre en Espagne, étant donné que les Paraguayens n’ont pas besoin de demander un visa touristique pour entrer dans l’espace Schengen. Pour ce qui est de l’argent, elle n’avait pas pris sur elle toute la somme nécessaire à son séjour étant en possession d’une carte de retrait internationale. L’officier de police n’en a cependant pas tenu compte car elle n’était pas en mesure de présenter un relevé de compte attestant de ses ressources. Elle a donc été placée dans la salle de maintien de l’aérogare en vue de son transfert en ZAPI (zone d’attente pour personnes en instance où sont maintenues les personnes qui se voient refuser l’entrée en France). Là, les officiers de quart l’ont à nouveau interrogée sur les motifs « réels » de son séjour. Après quoi, une interprète en espagnol a été contactée par téléphone pour lui expliquer ses droits, comme cela est prévu à l’article L. 221-4 du CESEDA.
Mais Noelia Liz n’était pas encore arrivée au bout de ses peines. Au lieu de lui expliquer ses droits, l’interprète n’a fait que poursuivre le pénible entretien commencé dans la matinée par la police, en lui demandant pour la énième fois pourquoi elle n’était pas en mesure de produire un relevé de compte. Noelia Liz lui a alors expliqué qu’elle disposait de la somme requise pour son séjour et qu’il suffisait, pour en avoir la confirmation, d’appeler sa banque. L’interprète lui a rétorqué qu’elle n’était pas là pour « que son banquier lui raconte sa vie » et que « l’Europe, ce n’est pas D***land ! »…
Noelia Liz n’a donc reçu aucune information concernant ses droits et n’a même pas pu avoir un verre d’eau avant 14h00, moment où une autre personne d’origine latino-américaine est arrivée dans la salle de maintien, accompagnée d’un autre interprète. Ce deuxième interprète leur a expliqué à toutes les deux qu’elles allaient être placées en ZAPI et qu’elles pourraient alors réunir les documents qui leur manquaient afin de poursuivre leur voyage. Noelia Liz a enfin pu téléphoner à sa famille restée au Paraguay et aux personnes qui l’attendaient en Espagne, restées sans nouvelles depuis son départ. Et, après 4 jours de maintien en zone d’attente, Noelia Liz a été libérée par le juge des libertés et de la détention.
Si Noelia Liz a retrouvé sa liberté et que le souvenir de l’interprète qui s’est moquée d’elle au téléphone ne restera qu’un mauvais souvenir de son passage à Paris, son témoignage pose des questions fondamentales en ce qui concerne l’interprétariat. Ainsi, l’interprète, seul lien avec les autorités françaises pour les personnes maintenues en zone d’attente ne comprenant pas le français, peut s’avérer être un obstacle supplémentaire dans leur difficile parcours à la frontière. Allant bien au-delà de leur rôle, certains professionnels se substituent à la police en soumettant les personnes qu’ils sont censés assister à un véritable interrogatoire.
Lorsque la personne concernée est demandeuse d’asile, la question de l’interprétariat est encore plus fondamentale. Un interprète qui outrepasserait son rôle risque non seulement de ne pas informer correctement la personne sur ses droits mais également de compromettre sa demande d’asile. La question est encore plus sensible lorsque la personne maintenue demande un interprète dans une langue rare. C’est alors souvent la même personne qui fait l’intermédiaire lors des échanges avec la police aux frontières puis lors de l’entretien avec l’officier de protection de l’OFPRA. Son regard n’est alors plus neutre.
Ayant connaissance de la situation de la personne demandeuse d’asile préalablement à son entretien, l’interprète peut en effet s’être déjà fait une idée de sa situation et orienter l’entretien, même malgré lui, dans une direction qui peut s’avérer désavantageuse pour la personne.
L’interprétariat à la frontière est donc un enjeu majeur dans le devenir des personnes maintenues en zone d’attente, ce qui accentue la gravité de s’aventurer au-delà de la traduction demandée.
Mathilde, Intervenante Anafé, 2016
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