Brève 2016 – La solitude des personnes maintenues

Publié le 10 Mai 2017

Modifié le 20 Nov 2024



EnfermementTémoignages

Mouna [1] est une mère de famille qui habite dans une petite ville de banlieue parisienne depuis 18 ans avec ses deux enfants. Mais le 26 avril 2016, alors qu’elle rentrait de ses vacances passées à l’étranger, au moment de passer la frontière, la police lui refuse l’entrée en soutenant que son passeport n’est pas le sien.

Mouna est alors « mise à l’écart », elle attend dans l’aérogare puis elle est placée en zone d’attente pour permettre à la police d’organiser son refoulement vers le pays de provenance. Une course contre la montre commence. Pour Mouna, il convient donc de prouver que ce passeport est bien le sien afin de demander une régularisation dans la journée et ce, depuis le poste de police de l’aéroport. Cette régularisation le jour même est dite a posteriori, elle sera acceptée au bon vouloir du policier qui exa-minera ces pièces. D’ailleurs, de par cette situation, la peur et la colère l’ont submergée. La langue française n’étant pas sa langue maternelle, Mouna peine à comprendre toutes les questions insistantes posées en français par la police aux frontières. La régularisation a été refusée, Mouna comprend alors qu’aucune porte ne lui permettra d’accéder au territoire avant 96 heures, moment où elle sera vue par un juge – si elle n’a pas été renvoyée avant.

Lors des permanences de l’Anafé, outre les appels de personnes maintenues en zone d’attente, de nombreux appels proviennent de personnes situées sur le territoire. Après un long temps sans avoir eu de nouvelle de Mouna, son oncle a appris son maintien en zone d’attente et est désarmé face à la situation. Il a alors le réflexe de nous appeler, ce mercredi soir.

En plus d’avoir un proche qui a réussi à nous informer, Mouna a été soutenue par son mari. Celui-ci, étant sur le territoire français et habitant non loin de Paris, a pu lui rendre visite. Ce soutien est précieux. Les maintenu.e.s connaissent une pression psychologique forte. L’enfermement rime avec impuissance. Se déplacer est impossible, communiquer est impossible, être soit est impossible. Le téléphone a été confisqué. Il faut utiliser les cabines, ces téléphones au fonctionnement tangent, non-gratuit, devant être partagés, situés dans les couloirs. La confidentialité n’existe pas. À tout cela s’ajoute, pour Mouna (et pour tant d’autres maintenu.e.s), le sentiment d’être « un.e criminel.le ».

Ainsi, il est primordial d’être soutenu pour affronter la solitude et faire entendre ses droits. Ne plus être maintenu par la police alors que sa vie est en France. Pour ce faire, il faut rassembler les documents justificatifs. Quelle mince affaire lorsque la personne est privée de liberté et sans aide extérieure ? Pour Mouna, impossible de demander aux autorités de son pays d’origine de prouver que son passeport est un vrai puisqu’elle a déjà demandé l’asile en France. Il faut alors prouver par des témoignages que sa vie est en France et que son identité est reconnue.

Cela a été possible grâce, une nouvelle fois, à la présence et à l’action de proches. Les proches ont ainsi pu être présents et entendus, lors de la première audience devant le juge des libertés et de la détention. Ainsi, après quatre jours de maintien, Mouna a pu rentrer sur le territoire. Elle a pu retrouver son mari, ses enfants, sa maison, sa rue, sa ville, sa « France » – son pays de séjour depuis dix-huit ans.

Mouna a eu de la chance d’avoir été soutenue. Un soutien à plusieurs niveaux qui lui a permis de tenir le choc, alors que la police l’avait placée (avec tant d’autres personnes) loin de tout, loin de tous. Le fait que des proches aient pu l’aider a permis de trouver une solution. Cela a en effet permis de prouver au juge, face à la « grande parole » de la police aux frontières que son passeport est bien le sien. Tous les maintenus n’ont pas cette chance…

Angèle, Intervenante Anafé, 2016

[1Le prénom a été changé.

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