Brève 2014 – « Rentre chez toi pauvre folle » – zèle ou acharnement de la PAF de Marseille

Publié le 04 Jan 2016

Modifié le 20 Nov 2024



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Keicha est originaire de la République démocratique du Congo (RDC), elle a 24 ans et est arrivée à Marseille le 14 juillet 2014, par un vol en provenance de Moscou. Keicha est enceinte de 6 mois. Détentrice d’un passeport contenant un visa falsifié et n’étant pas en possession des documents lui permettant d’entrer sur le territoire français, la police aux frontières (PAF) l’a interceptée et placée dans la zone d’attente (ZA) de l’aéroport de Marignane le temps d’organiser son renvoi vers son dernier pays de transit.

Se déclarant menacée en RDC, Keicha demande très rapidement à entrer sur le territoire pour y déposer une demande d’asile. A noter que la procédure de l’asile à la frontière est dérogatoire par rapport à celle existant sur le territoire. En effet, à la frontière, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est simplement censé examiner le caractère « manifestement infondé » ou non de la requête de Keicha. L’Office rend ensuite un avis, suivi dans la grande majorité des cas par le ministère de l’intérieur, à qui revient la décision d’admettre ou non la personne sur le sol français, au titre de l’asile. Si la décision est positive, la personne quitte la zone d’attente munie d’un laissez-passer de 8 jours qui lui permet d’aller déposer son dossier en préfecture afin que celui-ci soit instruit de manière approfondie. En cas de décision négative, la personne n’est plus considérée comme demandeuse d’asile et peut être renvoyée à tout moment.

Malheureusement, en pratique, l’OFPRA ne se contente pas de vérifier si les menaces ou les discriminations subies par les demandeurs sont susceptibles de justifier une protection, conformément aux critères énoncés à l’article premier de la Convention de Genève de 1951, mais procède en un temps record à un examen au fond de la demande.

Malgré les allégations de Keicha d’être victime d’un réseau de traite d’êtres humains, sa demande d’asile à la frontière est finalement rejetée au bout de 48 heures. La jeune femme fait appel aux services rémunérés d’un avocat pour former un recours contre cette décision négative, qui sera rejeté par le Tribunal administratif de Marseille le 22 juillet 2014. En effet, son avocat ne s’étant pas déplacé à l’audience, Keicha a dû se défendre seule, de manière confuse, ne sachant pas sur quels détails s’attarder, impressionnée par la magistrate qui semblait passablement agacée et intransigeante à son égard lors de l’audience publique.

Alors que la jeune femme était protégée contre le refoulement pendant toute la durée de la procédure d’asile à la frontière, ce (seul) recours suspensif rejeté1, elle est désormais considérée comme non admise sur le territoire français et peut donc être renvoyée de là où elle vient à tout moment2. Et en effet, dès le 22 juillet, la jeune femme subit une première tentative de renvoi vers Moscou. Les policiers viennent la chercher en pleine nuit, vers une heure du matin, en lui disant qu’ils vont aller « faire un tour », mais elle comprend rapidement qu’ils prennent la direction de l’aéroport.

Keicha fait un malaise, mais les policiers, bien loin de compatir, lui expliquent que quoiqu’elle fasse, elle va tout de même être renvoyée et que, si elle ne coopère pas, ils « la scotcherait partout et la piquerait pour l’endormir ». Affolée, la jeune femme attrape une bouteille de parfum dans son sac, la brise et se coupe la main avec un morceau de verre. Elle est finalement ramenée en zone d’attente et soignée par un médecin.

Le 24 juillet 2014, Keicha est renvoyée en Russie avec escorte, menottée et sanglée. Mais, après deux jours d’enfermement à l’aéroport de Moscou sans manger, les policiers russes – considérant qu’elle n’est pas admissible dans leur pays – décident de la renvoyer à… Marseille, dernière ville de provenance ! Les policiers russes auraient en effet déclaré que son passeport congolais n’était pas valable, la page avec le faux visa allemand ayant été arrachée.

De retour en zone d’attente de Marseille, l’un des officiers de la PAF, accompagné d’un psychiatre, a réveillé Keicha dans la nuit mais celle-ci a refusé d’être auscultée. Les policiers lui auraient alors dit : « tu es folle, tu dois partir, tu n’as pas ta place ici ».

Le lendemain, après un séjour à l’hôpital où le médecin aurait déclaré que la jeune femme n’était pas en état de prendre l’avion, Keicha est pourtant à nouveau placée dans un vol à destination de Kinshasa, cette fois-ci sans escorte. La jeune femme refuse d’embarquer. Elle est alors placée en garde à vue, pour s’être soustraite à une mesure de renvoi, ce qui constitue un délit au regard de la loi française (art. L 624-1 CESEDA) passible de prison et/ou d’une interdiction de territoire français.

Finalement, Keicha ne sera pas poursuivie par le procureur de la République : elle est libérée avec un rappel à la loi après quelques heures passées en garde à vue. Désormais sur le territoire français mais toujours sans droit au séjour, la jeune femme va pouvoir déposer une demande d’asile en préfecture, qui sera examinée dans les mois à venir.

Comme Keicha, de nombreuses personnes viennent en France pour y demander l’asile. Mais, loin d’être entendues, leurs angoisses sont souvent minimisées par la PAF qui, par excès de zèle, cherche à tout prix à les renvoyer vers leur pays de provenance. Ce zèle vire à l’acharnement lorsque la police tente de renvoyer des personnes qui sont dans un état physique et psychologique fragile. Certaines, comme Keicha, pourront finalement déposer leur demande d’asile sur le territoire mais d’autres seront renvoyées dans des pays où elles sont menacées et persécutées voire condamnées avant d’être renvoyées.

Lara, Intervenante Anafé, 2014

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1 L’article L213-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit pour les seuls demandeurs d’asile à la frontière un délai de quarante-huit heures pour former un recours de plein droit suspensif de la mesure de refoulement.

2 Conformément à la convention de Chicago, les étrangers maintenus aux frontières françaises sont refoulés vers leur dernier pays de provenance et non pas vers leur pays de nationalité.

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