Brève 2014 – Ebola n’empêche pas les renvois

Publié le 01 Fév 2016

Modifié le 20 Nov 2024



RefoulementsTémoignages

Sept ressortissants sierra léonais sont arrivés à l’aéroport de Roissy le 23 août 2014 en provenance d’Amérique du Sud et devaient prendre un second vol à destination de leur pays d’origine. Le petit groupe travaillait en effet pour un armateur étranger, depuis le début de l’année 2013. Mais, suite à un conflit salarial non résolu, leur contrat de travail a été rompu et ils ont été contraints de quitter le continent américain pour rejoindre Freetown, à bord d’un vol assuré par la compagnie Air France, faisant escale à Paris.

Arrivés en transit à l’aéroport de Roissy, le groupe refuse de prendre sa correspondance pour Freetown en raison de la situation sanitaire préoccupante du pays, du fait du virus Ebola, qui a depuis le mois de mars causé 4 818 décès, dont 1 062 en Sierra Leone qui, à ce stade, est le pays qui inquiète le plus les agences sanitaires internationales2.

L’entrée sur le territoire français leur est néanmoins refusée, car aucun d’eux ne possède de visa leur permettant de pénétrer légalement dans l’espace Schengen. L’un d’eux, Ishmaël, décide alors de déposer une demande d’asile à la frontière, laquelle est rejetée par le ministère de l’intérieur, de même que le recours qu’il forme contre cette décision avec l’aide de l’Anafé. Quelques jours plus tard, son ami Julius fait la même demande et se heurte à son tour à un refus, mais ne conteste pas cette décision négative. Les cinq compagnons d’Ishmaël et de Julius renoncent alors à demander l’asile à la frontière, comprenant qu’ils n’obtiendront pas gain de cause. En effet, malgré le risque sanitaire en cas de retour en Sierra Leone, leur situation ne relève pas – selon les autorités françaises – des motifs de protection de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés.

Par ailleurs, les signalements rédigés par l’Anafé pour attirer l’attention du juge des libertés et de la détention (JLD) sur le risque de renvoi vers Freetown qui constituerait une violation de la Convention européenne des droits de l’Homme3 n’ont pas reçus d’écho favorable, pas plus que les appels formés contre les décisions de prolongation du maintien en zone d’attente. Les juges judiciaires se déclarent en effet incompétents au profit du juge administratif, chargé de statuer sur les demandes d’asile à la frontière.

Ayant ainsi épuisé tous les recours légaux à leur disposition, les sept Sierra léonais n’ont plus d’autre choix, lors des tentatives d’embarquement quotidiennes qu’ils subissent, que de refuser de monter dans l’avion, ce qui pourrait constituer un délit au titre de l’article L. 624-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Le 24 août, le gouvernement français recommande à la compagnie Air France de suspendre « temporairement » sa desserte de la capitale de la Sierra Leone, en raison de l’épidémie de fièvre Ebola qui sévit dans le pays4. Pour autant, la police aux frontières affirme à l’Anafé le 28 août que des réacheminements « indirects » pourront être organisés via des aéroports continuant à assurer des vols vers Freetown.

Le 29 août, l’un des sept maintenus, John, est réacheminé vers son pays de provenance. Cependant, n’étant pas titulaire des documents lui permettant d’y pénétrer, l’entrée lui est refusée et il est immédiatement renvoyé à Paris, où il est à nouveau placé en zone d’attente.

Le 6 septembre, à défaut pour les autorités françaises de pouvoir les renvoyer directement vers leur pays d’origine, Barry et Gabriel, sont réacheminés sous escorte vers Casablanca, où ils n’ont pourtant jamais transité. Le Maroc se charge ensuite de leur refoulement vers Freetown, la compagnie Royal Air Maroc n’ayant pas, à la différence d’Air France, suspendu ses vols à destination des pays les plus touchés par Ebola. Le 11 septembre, Alpha et Julius sont à leur tour refoulés selon le même processus. Ces renvois sont pourtant contraires aux dispositions de la Convention de Chicago de 1944 selon lesquelles « L’exploitant d’aéronefs refoulera la personne non admissible : au point où elle a commencé son voyage ; ou b) à tout autre endroit où elle peut être admise »5. En effet, le Maroc ne constitue pas leur dernier pays de provenance et les ressortissants sierra léonais dépourvus de visa ne sont pas légalement admissibles au Maroc.

L’Anafé a pu appeler Barry, Gabriel, Alpha et Julius à leur arrivée à Freetown mais depuis, malgré de nombreuses tentatives, ils restent injoignables. Après 20 jours passés en zone d’attente, Ishmaël, Osman et John ont quant à eux été placés en garde à vue suite à leurs nombreux refus d’embarquer. Le Parquet ayant renoncé à les poursuivre pénalement, ils sont libérés quelques heures plus tard et ont pu, par la suite, déposer une demande d’asile sur le territoire, actuellement en cours d’examen.

Ainsi, malgré ce qu’affirme la Direction Générale des Etrangers en France6, les renvois vers des pays massivement touchés par l’épidémie due au virus Ebola n’ont pas été suspendus, au mépris de toute considération humanitaire. Pire encore, il s’agirait apparemment pour les autorités françaises de renvoyer les « indésirables » à tout prix et n’importe où…

Lara, Intervenante Anafé, 2014

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1 Ishmaël, Osman, John, Barry, Gabriel, Alpha et Julius.

2 Temps Réel, Nouvel Obs, « Le virus Ebola progresse toujours en Sierra Leone », 6 novembre 2014, disponible en ligne : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20141106.REU0417/le-virus-ebola-progresse-toujours-en-sierra-leone.html

3 L’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme garantit le droit à la vie tandis que son article 3 prohibe toute forme de torture ainsi que les traitements inhumains et dégradants.

4 Compte-rendu du Conseil des Ministres du 24 août 2014 : « (…) Compte-tenu de l’évolution de l’épidémie et de la situation des systèmes de santé au Libéria et en Sierra Léone, les pouvoirs publics recommandent (…) à la société Air France de suspendre temporairement sa desserte de Freetown. En revanche, l’évaluation de la situation sanitaire en Guinée et au Nigéria, invite à maintenir les dessertes dans ces deux pays (…) ».

5 Article 5.11 de l’annexe 9 de la convention de Chicago.

6 Rue 89, « La France continue-t-elle les expulsions vers les pays touchés par Ebola ? », Rémi Noyon, 14 octobre 2014.

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