Brève 2014 – Contrôle aux frontières quand le tourisme devient un risque migratoire
Lorsqu’on est originaire d’un pays dont les ressortissants représenteraient un « risque migratoire » pour la France, pas le droit de prendre des vacances à l’improviste. Pour un séjour touristique, il faut non seulement justifier à la frontière d’un passeport et d’un visa valides, de ressources suffisantes, d’une preuve d’hébergement pour l’intégralité du séjour, d’une assurance maladie et d’un billet de retour pré-payé, mais aussi « de l’objectif du séjour » avec des « déclarations cohérentes ». Si la Police aux frontières (PAF) estime que ces conditions ne sont pas réunies, elle peut refuser à l’étranger l’entrée sur le territoire et décider de son placement en « zone d’attente », le temps d’organiser son renvoi vers le pays de provenance. Dans la plupart des cas, même si les conditions d’entrée sont rapidement remplies par les personnes maintenues, il faudra attendre le passage devant le Juge des libertés et de la détention (JLD), gardien des libertés individuelles, au bout du quatrième jour de maintien pour pouvoir être libéré et pénétrer sur le territoire français.
Fernando a 22 ans et est cap-verdien. Gérant de deux restaurants-bars à Praia, il vient rendre visite à deux de ses cousins en France, puis a l’intention de passer le reste de son séjour de deux semaines chez des amis au Portugal. Lorsqu’à sa descente d’avion, il se présente au poste de police de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, l’entrée sur le territoire lui est refusée au motif qu’il ne présente pas d’attestation d’hébergement valable : l’attestation sur papier libre rédigée par son cousin ne suffit pas. Celui-ci aurait dû se rendre en mairie la semaine précédente, s’acquitter de 30 euros de timbre fiscal, se voir potentiellement inscrire au « fichier municipal des hébergeants » et ce, afin d’obtenir une attestation d’accueil officielle et certifiée. De plus, pour la PAF, Fernando tient des propos « incohérents et contradictoires » puisqu’il déclare qu’il pourra être hébergé chez l’un ou l’autre de ses cousins et qu’il ne sait pas exactement combien de jours il restera en France avant de se rendre au Portugal. Sans même pouvoir récupérer ses bagages, Fernando est donc placé en « ZAPI III », ou « Zone d’Attente pour les Personnes en Instance [de renvoi] », lieu d’enfermement à proximité de l’aéroport de Roissy, où les étrangers non autorisés à entrer sur le territoire français1 peuvent être maintenus pour une durée maximale de 20 jours.
Alors que Fernando a déjà passé le quart de son séjour en « waiting hotel », selon les termes de l’officier de la PAF, le JLD décide que ses « garanties de représentation » ne sont toujours pas suffisantes et ordonne le prolongement de son maintien en zone d’attente pour huit jours supplémentaires. Le lendemain de l’audience, il se rend au bureau de l’Anafé où des bénévoles l’assistent pour faire appel de cette décision. Comme de nombreux autres étrangers non-admis, Fernando est très affecté par son maintien en zone d’attente et totalement dépourvu face à la complexité des procédures. Il ne comprend pas qu’un simple séjour touristique en Europe lui soit refusé, au motif qu’il pourrait potentiellement constituer un « risque migratoire » en voulant se maintenir sur le territoire au-delà de la période de validité de son visa.
Fernando est convoqué le lendemain à 9 heures à la Cour d’appel de Paris pour l’examen de sa requête. Mais les policiers lui font savoir que le seul vol de retour pour Praia prévu cette semaine-là décolle durant la même matinée. Se rendre à la Cour d’appel pour faire valoir ses droits tout en courant le risque de se voir confirmer le maintien en zone d’attente pour huit jours de plus, ou retourner au Cap-Vert sans même avoir vu la France, tel est le semblant de choix qui est laissé à Fernando. Celui-ci acceptera finalement de repartir avec ce vol qui, malheureusement « retardé », ne s’effectuera que dans l’après-midi, bien après l’audience à laquelle Fernando aurait pu assister.
Fernando a demandé aux bénévoles de l’Anafé, avant de prendre son avion, s’il aurait au moins la possibilité d’acheter une Tour Eiffel en miniature dans l’aéroport. Sans doute pour que, après six jours enfermé en zone d’attente, il puisse imaginer les vacances qu’il aurait pu passer, si l’entrée en Europe n’était pas déterminée par la couleur d’un passeport.
Mikele, Intervenante Anafé, 2014
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1 A savoir les étrangers non-admis, les demandeurs d’asile le temps de l’examen de leur demande d’entrée sur le territoire au titre de l’asile et les personnes en transit interrompu.
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