Brève 2013 – Jugement express au TGI de Bobigny
Le Juge des libertés et de la détention (JLD) est saisi au 4ème et au 12ème jour de maintien des personnes placées en zone d’attente à la frontière car non autorisées à entrer sur le territoire français. Il veille au respect de leurs droits fondamentaux et peut mettre fin à leur maintien s’il estime que ces droits ont été bafoués.
Dans le cadre des observations d’audiences conduites par l’Anafé, je me suis rendue le 16 novembre 2012 au Tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny, compétent pour la zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Au regard du nombre de personnes maintenues en zone d’attente, entre 10 et 20 dossiers sont généralement présentés par jour devant le JLD. Un avocat de permanence est présent pour défendre les personnes n’ayant pas les moyens de payer les services d’un avocat choisi.
Or, le 16 novembre dernier, 49 dossiers doivent être examinés par le juge, un record selon l’avocat de l’administration. La contrainte de temps est centrale car la loi prévoit que seul le juge judiciaire peut décider du prolongement du maintien en zone d’attente au-delà de 96 heures pour 8 jours supplémentaires, pour permettre à la police aux frontières (PAF) d’organiser leur renvoi. Repousser certaines auditions au lendemain pourrait ainsi signifier automatiquement la mise en liberté des maintenus, qui ne pourraient demeurer en zone d’attente sans base légale.
Sur les 49 personnes présentées au TGI en ce jour très particulier, nombreux sont les ressortissants syriens, souvent en famille, voulant se rendre dans un autre Etat Schengen pour y rejoindre des proches ; les autres maintenus sont pour la plupart originaires du Mali, du Nigeria et du Vietnam. L’atmosphère est visiblement électrique : deux avocates de permanences se relaient pour les nombreux dossiers qui ne sont pas défendus par un avocat choisi, elles n’ont visiblement pas le temps de s’entretenir avec les personnes qu’elles devront défendre, lesquelles ne sont pour la plupart pas francophones et s’expriment via un interprète. Deux juges sont présents et un seul avocat de l’administration est chargé de représenter la PAF pour l’ensemble des dossiers.
Dans ce contexte, le mot d’ordre, souvent rappelé aux avocats par les deux juges, est « rapidité ». Entre 11h00 et 18h00, 26 dossiers (soit à peine la moitié) sont examinés, dans une atmosphère de plus en plus tendue par l’urgence. Le temps moyen dédié à la défense des dossiers est de 11 minutes.
Une différence notable existe toutefois entre les dossiers défendus par des avocats choisis et ceux des avocates de permanence. Ces dernières, submergées de dossiers (parfois très semblables l’un à l’autre) ne soulèvent que très rarement des moyens de nullité, qui sont au contraire régulièrement soulevés par les avocats choisis. Sur les 26 auditions observées, le temps moyen dédié aux dossiers défendus par les avocats de permanence est de sept minutes, cette moyenne passe à 27 minutes pour ceux défendus par des avocats choisis. L’atmosphère devient encore plus électrique lorsque l’on réalise que le dossier d’un mineur isolé de nationalité indéterminée a été « oublié » par les deux avocates de permanence. L’audience est suspendue pour donner à l’une entre elles le temps de l’étudier pendant… 12 minutes, et de le défendre après, sans avoir eu d’échange avec l’intéressé.
Les juges interrogent très rapidement les maintenus, les questions sont standardisées et très peu de place est laissée à la minutie et à l’examen en profondeur de leurs diverses situations et ce, même quand les déclarations des intéressés semblent contradictoires. De plus, la plupart des personnes présentes s’expriment à l’aide d’un interprète, ce qui représente un obstacle supplémentaire pour la fluidité des échanges.
En sortant de la salle d’audience, et avant même de connaître les décisions des juges, l’impression est que très peu de personnes seront libérées. Or, si celles-ci avaient été interrogées davantage, certaines auraient pu expliquer les motifs pour lesquels elles se rendaient en France, d’autres auraient pu faire part aux juges et aux avocats de leurs problèmes de santé et du stress psychologique vécu, en particulier par leurs enfants mineurs (une petite fille de 2 ans, notamment), suite au maintien en zone d’attente.
Le passage devant le JLD est le seul contrôle judiciaire portant sur le respect des droits en zone d’attente ; pour beaucoup, c’est la seule opportunité d’être libéré. Or, dans l’urgence, il semble que le choix est fait de subordonner le droit des personnes à être défendues et entendues à l’efficacité – à tout prix – de la lutte contre l’immigration dite clandestine. Encore une fois, ceux qui paient le prix des dysfonctionnements de la politique migratoire ultra restrictive sont les étrangers, victimes d’une application aveugle et hâtive de la loi.
Francesca, Intervenante Anafé, 2013
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