Brève 2011 – Lorsque les droits d’un demandeur d’asile tiennent uniquement à la validité de son passeport…

Publié le 02 Déc 2013

Modifié le 20 Nov 2024



AsileTémoignages

J’ai rencontré Daniel, Nigérian, le 3 mai dernier en zone d’attente à Roissy lors d’une de nos permanences juridiques. Il est arrivé le 24 avril en provenance du Nigeria.

Au vu de son dossier, nous décidons de déposer au tribunal administratif (TA) de Montreuil une requête en urgence, dite en « référé liberté », puisqu’un certain nombre de ses droits n’avaient pas été respectés.

D’une part, parce que la procédure relative à son maintien en zone d’attente a été bâclée. En effet, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) précise que tout refus d’entrée en France doit faire l’objet d’une décision écrite motivée, à l’occasion de laquelle la personne est informée de ses droits. Simultanément, la personne se voit remettre une décision de placement en zone d’attente, qui découle du refus d’entrée en France. Or, au moment de l’interpellation de Daniel le 24 avril, seule la décision de placement en zone d’attente lui a été notifiée, en dehors de tout cadre légal puisque ce placement ne découle d’aucun refus d’entrée. Dès le lendemain matin, la police aux frontières (PAF) a tenté de le refouler vers Lagos. Ce n’est qu’après avoir refusé d’embarquer que Daniel s’est vu remettre la décision de refus d’entrée. Et alors que ce document doit faire mention du « droit au jour franc », cela n’apparaît pourtant nulle part sur la décision remise à Daniel. Or, si ce refus d’entrée lui avait été remis au moment de son interpellation comme le veut la procédure légale, Daniel aurait pu bénéficier de ce droit et demander à ne pas être renvoyé pendant un délai de vingt-quatre heures. Il s’agit là d’une nullité de procédure que Daniel aurait pu soulever lors de son audience le 28 avril devant le juge des libertés et de la détention, garant des libertés individuelles, chargé de vérifier qu’il n’y a pas eu d’atteinte à ses droits fondamentaux. Or, les avocats de permanence ayant entamé depuis un mois un mouvement de grève, Daniel – qui n’avait pas les moyens de payer un avocat « choisi » – n’a pu être assisté d’un conseil commis d’office. Il n’a donc pu assurer de manière effective sa défense devant le juge, qui a en conséquence prolongé son maintien en zone d’attente de huit jours.

Le second problème dans la situation de Daniel relève de son statut de demandeur d’asile à la frontière, régime dérogatoire, distinct de la procédure d’asile sur le territoire. Toute personne peut, à tout moment durant son maintien en zone d’attente, demander l’asile à la frontière sans être tenu de présenter des documents de voyage valides. Ainsi, Daniel a sollicité son admission sur le territoire au titre de l’asile deux jours après son arrivée, en raison des persécutions subies dans son pays.

Sa demande a été rejetée le vendredi 29 avril dans l’après-midi. Comme le prévoit la loi, Daniel pouvait contester cette décision dans un délai de quarante-huit heures. Or, une telle requête doit être motivée en fait et en droit et Daniel ne pouvait le faire seul. Pour autant, il n’y a pas de permanence d’avocats en zone d’attente et l’Anafé, qui assure ses permanences grâce à des bénévoles, n’est pas présente tous les jours et n’assure pas de permanences les week-ends. Daniel était donc dans l’impossibilité de contester la décision de rejet de sa demande d’asile à la frontière, et n’a pu exercer son droit à un recours effectif. Passé ce délai de 48 heures, Daniel pouvait ainsi être renvoyé à tout moment vers le Nigeria.

Dès lors, au vu de tous ces éléments, un référé liberté, bien que ne permettant pas de suspendre toute mesure de renvoi le temps de l’instruction, apparaît donc comme le recours de la dernière chance. Et l’urgence de la situation est d’autant plus justifiée qu’au moment de faxer notre requête au TA, il revient d’une troisième tentative d’embarquement. Lorsque Daniel se présente au bureau en fin de journée, la police vient de lui remettre plusieurs documents, « je ne comprends pas ce que cela signifie, ils ne m’ont pas dit si j’avais une audience ou non ».

Et là, surprise ! Daniel vient de se voir remettre une ordonnance de rejet au tri, c’est-à-dire que le juge administratif vient de rejeter notre requête sans même prévoir une audience. Comment lui dire qu’il ne pourra faire valoir sa situation lors d’une audience puisque le juge considère sa requête infondée ?

A la lecture de la décision, un sentiment d’indignation m’envahit. Puisque Daniel est arrivé avec un faux passeport, le juge a conclu que « dans ces circonstances, le requérant, qui ne remplit pas les conditions pour pouvoir entrer sur le territoire français, ne peut, en tout état de cause, se prévaloir d’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Je tente donc de lui expliquer ce que je ne comprends pas moi-même : puisqu’il n’a pas de passeport valide, le non respect de ses droits ne peut être sanctionné. Pourtant il me semble que toute personne en zone d’attente a des droits, qui doivent être respectés peu importe sa situation.

De plus, au vu de sa situation particulière de demandeur d’asile, il n’est pas tenu de présenter des documents de voyage valides, aussi la décision du juge semble incompréhensible. Daniel sort du bureau de l’Anafé abattu.

Immédiatement, nous décidons de faire appel de cette décision, en urgence, devant le Conseil d’Etat afin de contester le véritable déni de droit dont est victime Daniel. Mais c’est sans compter sur le zèle de la PAF qui tente de le refouler une nouvelle fois le lendemain matin. Et puisque Daniel a de nouveau refusé de monter dans l’avion, ce qui en France constitue un délit, il est placé en garde à vue dans la matinée du 4 mai.

S’il est présenté devant le juge en comparution immédiate, il risque une peine de prison et une interdiction du territoire. Nous décidons donc que pour sa défense, nous ferons valoir la situation de Daniel en zone d’attente devant le juge correctionnel.

Finalement, Daniel sera relâché au bout de quelques heures, l’administration ayant décidé de ne pas le poursuivre… Mais combien de Daniel y a-t-il en zone d’attente, dont les droits, considérés comme de simples accessoires, ne sont pas respectés ?

Une seule certitude : il ne s’agit que d’indésirables étrangers qu’il faut à tous prix renvoyer.

Laure, Intervenante Anafé, 2011

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