Brève 2014 – Lune de miel en zone d’attente
Xiong et Chan sont chinois, tous deux âgés de 30 ans, ils viennent de se marier et ont choisi l’Europe comme destination pour leur voyage de noces. Il était convenu qu’ils arrivent à Paris, visitent quelques jours la capitale, puis rejoignent un ami dans le sud du pays avant de rejoindre un groupe de touristes pour effectuer un voyage organisé en bus en Italie.
Malheureusement, le voyage ne se déroule pas comme prévu. Une fois à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, le couple se dirige vers les aubettes, où des officiers de la police aux frontières (PAF) sont chargés de vérifier si les voyageurs remplissent l’ensemble des conditions nécessaires pour pénétrer sur le territoire français1. Or, il se trouve que les amoureux, comme de nombreux voyageurs, pensaient légitimement que, puisqu’ils avaient déjà fourni à l’ambassade de France à Pékin l’ensemble des documents exigés afin d’obtenir leur visa, ils n’avaient plus l’obligation de transporter avec eux ces justificatifs. Ainsi, ont-ils été pris au dépourvu lorsque l’officier de la police aux frontières de Roissy leur demande de fournir des justificatifs d’hébergement pour la totalité de leur séjour, ainsi qu’une somme d’argent de plus de 1 000 euros. Etant dans l’incapacité de fournir ces pièces, le couple patiente pendant plus de deux heures en aérogare. Un interprète se présente enfin, qui leur traduit les explications de la PAF ainsi qu’un certain nombre de documents à signer. Il leur explique sommairement qu’ils vont être placés en zone d’attente (ZA), un bâtiment situé dans la zone de fret de l’aéroport de Roissy, où ils seront « maintenus », autrement dit enfermés, jusqu’au renvoi dans leur pays de provenance.
Après deux jours passés en ZA, les jeunes mariés subissent une première tentative d’embarquement : ils sont reconduits en aérogare avec leurs bagages. Après 3 heures d’attente enfermés dans une minuscule cellule, le couple est présenté à l’embarquement sur un vol à destination de Pékin. Refusant de monter à bord, ils sont à nouveau placés dans la même cellule, dans laquelle ils attentent durant plusieurs heures, avant d’être finalement ramenés en zone d’attente.
Quatre jours après leur arrivée, conformément à la procédure, les deux jeunes gens sont présentés devant le juge des libertés et de la détention (JLD) de Bobigny, qui apprécie in concreto si l’atteinte aux libertés individuelles que constitue le maintien en zone d’attente est adapté, nécessaire et proportionné aux objectifs poursuivis, et s’il y a lieu de prolonger ou non la privation de liberté.
Le jeune couple, pendant la période de maintien en ZA, a régularisé sa situation : ils possèdent désormais une carte de crédit internationale reliée à un compte bancaire disposant de la somme d’argent requise par la loi française, ainsi que plusieurs réservations d’hôtel. En outre, leur ami, supposé les accueillir dans le sud de la France et qui a fait le déplacement jusqu’à Bobigny pour assister à l’audience, a préparé un récapitulatif manuscrit de leur séjour, contenant les différentes étapes du périple de ses invités.
Mais durant l’audience, l’avocate représentant l’administration multiplie les accusations et sème le doute lors de sa plaidoirie : le document produit par l’ami des mariés ne prouverait rien et elle ajoute que lors de l’un des interrogatoires que le couple a subi à son arrivée en France, les deux maintenus auraient déclarés qu’ils venaient en France pour se marier. Dans ce cas, assène l’avocate de l’administration, il y avait un certain nombre de formalités à accomplir avant leur arrivée !
En outre, toujours selon l’avocate, les maintenus n’expliquent pas avec quel moyen de transport ils effectueront leur voyage en Italie, et leurs réservations d’hôtel faites sur le site ***.com ne sont pas prépayées.
Les deux jeunes mariés réfutent ces allégations et répondent aux questions du juge mais malheureusement c’est trop tard, le scepticisme s’est installé dans l’esprit du magistrat. L’ombre menaçante du risque migratoire plane dans la salle d’audience.
Finalement le doute ne bénéficiera pas au jeune couple. Le juge ne se risquera pas à laisser pénétrer sur le territoire français des personnes qui pourraient se maintenir après l’expiration de leur visa, aussi infime soit le « danger ». Les jeunes mariés seront reconduits en zone d’attente le soir même, puis renvoyés en Chine deux jours après l’audience, soit six jours après leur arrivée.
Ils n’auront visité ni la France, ni l’Italie, mais jamais ils n’oublieront leur lune de miel en zone d’attente…
Lara, Intervenante Anafé, 2014
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1 Au titre de l’article L. 211-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), tout individu se présentant à la frontière doit – pour pouvoir entrer sur le territoire français – être muni des documents suivants : un passeport en cours de validité, un visa le cas échéant, un justificatif d’hébergement (réservation d’hôtel payée ou attestation d’accueil délivrée par la mairie de l’hébergeant) pour la totalité du séjour, de moyens de subsistance conséquents (33 euros par jour si la personne est hébergée chez un tiers et 65 euros si elle loge à l’hôtel), d’une assurance maladie–rapatriement, ainsi que d’un billet retour prépayé.
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