En Europe comme aux Etats-Unis : le jeu dangereux des politiques migratoires / In Europe as in the United States : the dangerous game of migration policies

Publié le 30 Jan 2017

Modifié le 14 Nov 2024



CommuniquésPolitiques européennes et nationales

En Europe comme aux Etats-Unis : le jeu dangereux des politiques migratoires

English Below

Le texte « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis » signé ce vendredi 27 janvier par le Président américain a suscité une vive indignation au niveau international, à juste titre.

Ce décret interdit pendant 90 jours toute entrée sur le territoire américain des ressortissants de sept pays : Yémen, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Irak. Les entrées de réfugiés venant de ces pays sont ainsi bloquées pendant cette durée, et les demandes des réfugiés syriens, elles, le sont jusqu’à nouvel ordre.

Conséquence directe de l’entrée en vigueur du décret :

-  des centaines de personnes, bloquées ce weekend soit à leur arrivée dans les aéroports américains, soit dans les aéroports de transit à l’initiative des compagnies aériennes, jusqu’à ce qu’elles soient renvoyées vers leur pays de provenance ;

-  une violation de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés puisque des réfugiés et demandeurs d’asile sont soit contraints de rester dans les pays qu’ils fuient, soit y sont renvoyés.

Mais le phénomène n’est pas nouveau. Les mesures empêchant la circulation de certaines nationalités ou de personnes en provenance de certains pays dont des réfugiés sont déjà nombreuses et le rôle d’agents externalisés des politiques migratoires, exercé de fait par les compagnies aériennes, est déjà connu et dénoncé.

L’application du décret américain a évolué depuis son entrée en vigueur, notamment depuis qu’à New York et en Virginie, des juges fédéraux ont interdit, le 28 janvier, aux autorités américaines de refuser l’entrée ou d’expulser les personnes originaires des pays concernés par le décret et titulaires d’un visa valide. Le Royaume-Uni et le Canada auraient obtenu, dimanche, une exemption pour leurs citoyens qui possèdent également la nationalité d’un des sept pays concernés par le décret. Concernant les détenteurs d’une carte de résident permanent aux Etats-Unis, il a été annoncé que les retours seront gérés au cas par cas.

Il n’en demeure pas moins que le décret reste en vigueur et que la situation vécue ce weekend par des centaines de voyageurs et réfugiés risque de se reproduire, notamment parce que les compagnies aériennes continueront de refuser d’embarquer des personnes. Cela a été le cas en France, aux Pays Bas, en Egypte, en Autriche et en Suisse par exemple. En France, les personnes sont alors en « transit interrompu » et en principe placées en zone d’attente [1] le temps d’organiser leur départ vers le pays de provenance. Menacées de sanctions si elles acheminent une personne qui ne présente pas de documents de voyage valides ou à qui l’entrée sur le territoire de destination finale sera refusée, les compagnies sont de fait, des agents externalisés des contrôles aux frontières jouant le jeu des politiques migratoires. Le caractère extrêmement dissuasif de ces sanctions implique que le personnel des compagnies en vient à exécuter des missions de police, décidant si une personne peut ou non être autorisée à embarquer et représentant ainsi une autre source d’entrave à la circulation des personnes. Ainsi, les compagnies se fondent parfois sur un simple doute pour refuser à un passager de prendre son vol.

Plus grave encore, cet arsenal porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes et notamment des demandeurs d’asile et réfugiés.

Tout ce dispositif de pression faite aux transporteurs s’inscrit très clairement dans le cadre du durcissement des politiques migratoires européennes, mais également américaines, visant à empêcher des étrangers de quitter leurs pays et/ou d’accéder au territoire.

Si le président François Hollande a rappelé au président Donald Trump sa conviction que « le combat engagé pour la défense de nos démocraties, ne sera efficace uniquement s’il s’inscrit dans le respect du principe de l’accueil des réfugiés » [2], il est important de rappeler que la France fait partie des nombreux Etats qui mettent en place des mesures visant à empêcher les personnes de quitter et/ou d’arriver en France et sur le territoire européen. Citons par exemple la liste des pays soumis à visa de transit aéroportuaire (VTA), liste à laquelle la France a ajouté la Syrie en 2013 [3], l’envoi d’officiers de liaison dans les pays de départ considérés comme ‘à risque migratoire’, la multiplication de fichiers [4]… Et plus récemment, la France a franchi une nouvelle étape dans le renforcement des sanctions aux transporteurs avec la réforme du 7 mars 2016, puisque les montants des amendes déjà existantes ont été doublés (en 2014, 1395 amendes ont été notifiées par la France, 1219 pour les 8 premiers mois de 2015).

A quand un véritable changement des politiques migratoires afin de garantir et de respecter les droits humains ?


In Europe as in the United States : the dangerous game of migration policies

The executive order, « Protecting The Nation From Foreign Terrorist Entry Into The United States » signed on Friday, January 27th by the US President has provoked international outrage, and justly so.

This order bans, for 90 days, any entry onto American territory by the citizens of seven countries : Yemen, Iran, Libya, Somalia, Sudan, Syria and Iraq. The entry of refugees coming from these seven countries is also suspended during this period. Requests for entry by Syrian refugees are also suspended until further notice.

The direct consequences of this order are :

-  that hundreds of people were blocked this weekend – either upon their arrival at American airports or at transit airports at the initiative of airlines – until they were sent back to their country of origin.

-  a violation of the Geneva Convention of 1951 relating to the status of refugees seeing as refugees and asylum seekers are forced to either stay in or be sent back to the countries they are fleeing.

But this phenomenon is not new. Measures preventing the circulation of certain nationalities or of people originating from certain countries where there are large numbers of refugees, and the role of external agents in migration policies, practiced by airlines, is already known and has already been denounced.

The application of the American order has evolved since its introduction, notably since, on January 28th, federal judges in New York and Virginia banned American authorities from refusing entry or deporting people originating from the countries affected by the order and who are holders of valid visas. On Sunday, the United Kingdom and Canada obtained exemptions for their citizens who have dual nationality with one of the seven countries affected by the order. Regarding those who are permanent residents of the United States with valid green cards, it has been announced that their returns will be managed on a case by case basis.

Nevertheless, it remains important to understand that the order remains in effect and the situation experienced by hundreds of travellers and refugees last weekend could occur again, notably because airlines continue to refuse boarding to certain people. This has been the case in France, in the Netherlands, in Egypt, in Austria and in Switzerland, for example. In France, these people are therefore in a state of « interrupted transit » and, in principle, placed in a waiting zone [5] while their departure to their country of origin is organised.

Threatened by sanctions if they transport someone who does not have valid travel documents or whose entry at their final destination will be refused, airlines have become de facto third party border control agents going along with migration policy. The extremely dissuasive nature of these sanctions means that airline personnel are called upon to execute the duties of police, deciding if a person can or cannot transit and thus representing another constraint to the free movement of people.

As a result, airlines sometimes base their refusal to allow a passenger to board a flight on a simple doubt. Even more serious, this arsenal infringes upon basic human rights and notably those of refugees and asylum seekers.

All of these measures of applying pressure on airlines is clearly part of the hardening of European and American migratory policies whose aim is to prevent foreigners from leaving their countries and having access to the territory.

If President François Hollande wishes to remind President Trump of his conviction that « the common fight for the defense of our democracies will only work if it is based on respect for the principle of welcoming refugees » [6] it is important to remember that France is one of many states who has put in place measures aiming to prevent people from leaving and/or arriving in France and on European territory. One can cite, for example, the list of countries subject to an airport transit visa (VTA), a list onto which France added Syria in 2013 [7], the policy of sending liaison officers to countries of departure considered to be « migratory risks », the multiplication of lists… [8] More recently, France has taken another step in the strengthening of airline sanctions with the March 7th 2016 reform, seeing as the amounts of fines which already existed were doubled (in 2014, 1395 fines were announced by France, 1219 for the first 8 months of 2015).

When will there be a real change in migration politics that will guarantee and respect human rights ?

[1En octobre 2016, le ministère de l’intérieur recensait 67 zones d’attente dans les aérogares, les ports et les gares desservant des destinations internationales (frontières externes). En 2014, 11 824 refus d’entrée et 8 931 placements en zone d’attente en métropole et outre-mer, contre 23 072 refus d’entrée en 2001. A Roissy, 6 593 refus d’entrée et 7 076 placements (le nombre de placements inclut les demandeurs d’asile contrairement au nombre de refus d’entrée). A Orly, 1 108 refus d’entrée et 1 030 placements.

En 2015, 11 666 personnes se sont vues refuser l’entrée sur le territoire dont 486 personnes en transit interrompu. 8 862 ont été placées en zone d’attente (tous motifs de placement confondus, métropole et outre-mer), dont 6932 à Roissy et 835 à Orly.

La baisse constante des arrivées s’explique largement par les difficultés à atteindre l’Europe, de plus en plus nombreuses ces dernières années : durcissement des politiques migratoires européennes et françaises et multiplication et développement des entraves au départ (officiers de liaison, fichiers, visas, visas de transit aéroportuaire, compagnies aériennes, etc.).

[3Voir Communiqué ANAFE/GISTI : « Le Conseil d’État abandonne les réfugiés syriens à leur sort…en volant au secours du gouvernement français » – 25 mars 2013, http://www.anafe.org/spip.php?article262 Voir Rapport Anafé « Des zones d’atteintes aux droits », p.79, « Syrie : une solidarité française à deux vitesses » http://www.anafe.org/IMG/pdf/anafe_-_rapport_des_zones_d_atteintes_aux_droits.pdf

[4Voir Guide théorique et pratique de l’Anafé, chapitre 1 « Les contrôles en amont », http://www.anafe.org/IMG/pdf/guide_anafe_web.pdf

[5In October 2016, the Ministry of the Interior provided a list of 67 waiting zones in airport terminals, seaports and train stations serving international destinations (outside French borders). In 2014, there were 11,824 entry refusals and 8,931 people placed in waiting zones in metropolitan France and in the overseas departments and territories, as opposed to 23,072 entry refusals in 2001. At CDG, there were 6,593 entry refusals and 7,076 placements in the waiting zone (the number of placements includes asylum seekers, contrary to the number of entry refusals). At Orly, there were 1,108 entry refusals and 1,030 placements. In 2015, 11,666 people were refused entry onto the territory, of which 486 were in « interrupted transit ». 8,862 were placed in the waiting zone (for any number of reasons, whether it be in metropolitan France or in the overseas departments and territories, of which there were 6,932 at CDG and 835 at Orly. This constant decrease of arrivals is largely explained by the difficulties of arriving in Europe, which have become more numerous over the years : the hardening of European and French migration politics and the multiplication and development of constraints at the moment of departure (liaison officers, lists, visas, airport transit visas, airlines, etc.)

[7See Report ANAFE/GISTI : « Le Conseil d’État abandonne les réfugiés syriens à leur sort…en volant au secours du gouvernement français » – 25 March 2013, http://www.anafe.org/spip.php?article262 See Report Anafé « Des zones d’atteintes aux droits », p.79, « Syrie : une solidarité française à deux vitesses » http://www.anafe.org/IMG/pdf/anafe_-_rapport_des_zones_d_atteintes_aux_droits.pdf

[8See Anafe’s theoretical and practical guide, chapter 1, « Les contrôles en amont », http://www.anafe.org/IMG/pdf/guide_anafe_web.pdf

Sur ces thèmes