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Brève 2011 - Le régime dérogatoire de l’asile à la frontière : goulot d’étranglement pour les demandeurs d’asile ?

lundi 3 février 2014

Le régime dérogatoire de l’asile à la frontière :
goulot d’étranglement pour les demandeurs d’asile ?

Plusieurs demandes d’asile sont rejetées à la frontière, alors que dans des situations identiques sur le territoire, elles seraient vraisemblablement acceptées par les juges de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).

Concernant les femmes craignant l’excision pour leurs enfants, les juges de la CNDA peuvent en effet leur reconnaître la qualité de réfugié : « dans les pays de forte prévalence de la pratique de l’excision, les personnes qui ont manifesté leur opposition à cette pratique pour elles-mêmes, ou refusé d’y soumettre leurs enfants mineures, ont ainsi transgressé les normes coutumières de leur pays d’origine et sont exposées de ce fait tant à des violences dirigées contre elles-mêmes qu’au risque de voir leurs filles mineures excisées contre leur volonté ; qu’elles peuvent être regardées comme pouvant craindre avec raison des persécutions du fait de leur appartenance à un certain groupe social au sens des stipulations de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève, lorsqu’elles ne sont pas en mesure d’être protégées par les autorités publiques de leur pays ».

Madame B. est arrivée à l’aéroport de Roissy le 8 juin 2011, accompagnée de ses trois filles âgées de 3, 5 et 7 ans. Victime d’un mariage forcé en Guinée Conakry, où 96 % des femmes sont excisées, Mme B. a souhaité protéger ses filles d’une mutilation génitale quasi inévitable.

Ses beaux-parents, convaincus de l’importance de cette pratique coutumière enracinée, ont tenté à plusieurs reprises d’exciser leurs petites filles ; Mme B. a alors décidé de demander une protection à la France où l’excision - illégale - est considérée comme un acte de torture. Dès son arrivée à la frontière, elle a sollicité l’asile, reconnu comme un droit fondamental de valeur constitutionnelle.

Le ministre de l’intérieur a cependant refusé sa demande d’entrée sur le territoire au titre de l’asile, au motif que ses déclarations seraient incohérentes et imprécises. Mme B. a donc introduit une requête en annulation de cette décision auprès du Tribunal administratif de Paris. Mais le juge administratif a refusé l’annulation de la décision contestée estimant les déclarations de l’intéressée vagues et convenues : en résumant en deux mots les déclarations de Mme B., le juge a réexpédié cette femme et ses trois filles vers une torture quasi certaine.

Ce refoulement collectif pose ainsi nombre de questions :
- comment Mme B. aurait-elle pu davantage prouver le risque d’excision qu’encourent ses filles dans le futur, comme la majorité des femmes en Guinée ?
Si une loi interne (article 265 du Code pénal) prévoit l’illégalité d’une telle pratique en Guinée, aucun cas d’excision n’a toutefois été porté - à ce jour - devant les tribunaux nationaux, démontrant ainsi l’inexistence d’une protection effective à l’égard des femmes.
- quid de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui prévoit l’interdiction de la torture et de tout traitement inhumain et dégradant ? Et qu’en est-il du principe de non refoulement « vers des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de son appartenance à un certain groupe social » prévu par l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ?
- enfin, qu’en est-il du droit fondamental à l’asile ? La demande d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile de Mme B. semblait pourtant fondée au regard de la jurisprudence de la CNDA.

Serait-ce que cette vérification préliminaire du bien fondé de la demande d’asile par le ministère de l’intérieur ne constitue qu’un filtre limitant l’accès des demandeurs d’asile sur le territoire français, tel un goulot d’étranglement ?

Véra, Intervenante Anafé, 2011

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