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Brève 2012 - Quand le mépris s’invite au tribunal

lundi 5 mai 2014

Quand le mépris s’invite au tribunal

Une audience atypique du juge des libertés et de la détention, habituellement le seul rempart contre l’arbitraire de la police aux frontières pour les étrangers placés en zone d’attente.

Le mardi 12 juin 2012, je me suis rendue au Tribunal de grande instance de Bobigny afin de suivre les audiences du juge des libertés et de la détention relatives au maintien d’étrangers en zone d’attente de Roissy-Charles-de-Gaulle. Le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, statue en effet sur la prorogation du maintien au vu de leur situation et du respect de leurs droits, en veillant à ce que la procédure de placement ne soit pas entachée d’irrégularités manifestes.

Au cours de la journée, trois hommes de nationalité syrienne, d’origine kurde, messieurs M., S. et R., ont été entendus par la juge présidant ce jour-là. Ces trois hommes avaient été placés en zone d’attente de Roissy pour défaut de documents – aucun d’entre eux ne possédant de document d’identité ou de voyage. Lors de leur passage devant la juge, ces trois hommes, arrivés ensemble à l’aéroport quatre jours plus tôt, ont expliqué vouloir se rendre en Suisse ou en Allemagne, où résident des membres de leur famille, afin d’y déposer une demande d’asile.

Sans même ne serait-ce qu’envisager une seconde la possibilité que ces hommes aient réellement de la famille en Suisse ou en Allemagne, la juge s’est lancée dans une tirade méprisante à leur égard. De suppositions en moqueries, il apparaissait désormais qu’ils désiraient se rendre en Suisse pour profiter des avantages de ce pays – neutralité, avantages fiscaux, etc.

La juge n’a pas manqué de répéter qu’ils étaient « en plein fantasme », que si la Suisse était si accessible « ça se saurait » et qu’alors « plus aucun Français ne vivrait en France »…
De concert, la juge, l’avocate de permanence (censée représenter et défendre ces trois hommes) et la plupart du public présent dans la salle d’audience se sont mis à rire de bon coeur. Les rires ont repris de plus belle lorsque la juge a demandé s’ils ne préféraient pas aller à Monaco plutôt : « C’est chouette Monaco ! Et c’est ensoleillé ! [s’adressant à leur avocate] Vous êtes sûre qu’ils n’ont pas de famille à Monaco ? ».

Dans cette ambiance détendue et bon enfant, leur origine syrienne, dans le contexte que l’on connaît, ne semblait plus avoir aucune importance en l’espèce. On aurait pu croire qu’il s’agissait de touristes naïfs venus profiter du bon vivre suisse...
Dans ce contexte, les trois hommes ne comprenaient pas grand chose à ce qui se passait : non seulement l’interprète kurde ne traduisait pas l’ensemble des propos méprisants débités, mais surtout, ce dernier s’exprimait en kurde de Turquie, très différent du kurde de Syrie.

L’un des trois hommes humiliés a toutefois osé suggérer qu’après être parvenu à se sauver de Syrie et à arriver en France, accéder au territoire suisse ne semblait pas si impossible que ça. Ce à quoi la juge a cru bon de répondre « Déjà que les Français ne rentrent pas en Suisse, faut pas rêver ! Les petits rigolos du coin, ils rentreront pas en Suisse non plus ! ».
Et l’avocate de permanence de conclure : « Ah, ça fait du bien de rire un peu dis donc ! ».

Ah oui alors... Et qu’importe apparemment si c’est aux dépens de personnes particulièrement vulnérables.

Alice, Intervenante Anafé, 2012

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